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Après avoir introduit la plagiocéphalie, il est désormais temps de s’intéresser à son approche clinique.
Si de nombreux bébés développeront une asymétrie posturale, ce n’est pas pour autant qu’ils nécessiteront tous des soins cliniques. Ainsi, Leung et ses collaborateurs proposèrent en 2019 un algorithme décisionnel à destination des thérapeutes de première intention. Comme le montre le schéma ci-dessous, tous les nourrissons présentant une asymétrie posturale ne nécessiteront pas de soins kinésithérapiques. À partir de 6 semaines, une intervention kinésithérapique serait cette fois ci envisageable (Leung et al., 2018). Ceci se corrèlerait aux recommandations du dernier congrès de l’association américaine des chirurgiens neurologiques (Flannery et al., 2016a).
Lorsque le nourrisson nécessitera des soins kinésithérapiques, l’évaluation clinique est basée sur une observation de l’enfant ainsi que sur une anamnèse concernant les parents, l’enfant ainsi que son environnement (Villani & Meraviglia, 2014). Il reste important de noter que comme l’indiquait Mawji en 2014 : « le bébé grandit comme une unité : les états physiques, mentaux et émotionnels ainsi que les degrés de croissance ne peuvent être considérés séparément, ils sont interdépendants » (Mawji et al., 2014). Il est donc essentiel d’aborder le bébé dans sa globalité.
a - Anamnèse
L’anamnèse aura pour objectif de repérer dans un premier temps d'éventuels facteurs de risque pour le développement psychomoteur de l'enfant en se basant sur certains articles récents (Filisetti et al., 2020).
Concernant le nourrisson :
Age chronologique et âge corrigé si l’enfant est prématuré́ ?
Le nouveau-né présente-t-il d'autres pathologies associées ? (torticolis congénital, dysplasie de hanche, mal position des pieds, syndromes génétiques, lésions neurologiques, etc…)
La plagiocéphalie existait-elle déjà à la naissance ? Si non, à quel âge est-elle apparue ?
Posture préférée de l’enfant ?
Étapes de développement moteur ?
Concernant la périnatalité, les questions à poser seront :
S'agit-il d'un premier enfant ?
Déroulement de la grossesse ?
o Mère alitée ?
o Sensations de bébé « bloqué » durant les 6 dernières semaines ?
o Inquiétudes médicales ?
o Gestes médicaux sur le fœtus (amiosynthèse) ?
Questions sur le déroulement de l'accouchement ?
o Quel type de voie (voie basse ou césarienne) ?
o Déclenchement naturel ?
o Arrivée à terme du nourrisson ?
o Présentation de l'enfant ? On rappelle que les 2/3 des plagiocéphalies sont à droite et seraient corrélées avec une présentation en OIGA
o Gestes médicaux à la naissance ?
o Séparation mère/enfant ?
o Hospitalisation du nourrisson ? Si oui, l'enfant a-t-il-pu être placé en peau-à-peau rapidement ?
Concernant l’environnement de l’enfant :
Quel mode d'alimentation les parents ont-ils choisi ? Comment cela se passe-t-il ?
L'enfant est-il suivi par un pédiatre ou par le généraliste ?
Les parents travaillent-ils ? Ont-ils choisit un mode de garde ? Ont-ils l'aide des grands parents ?...
Environnement social et familial.
Parmi toutes les questions concernant l’environnement de l’enfant, une attention particulière devrait être attachée à l’installation du nouveau-né dans le quotidien puisque ces dernières sont fréquemment incriminées dans la déformation du crâne (Haute Autorité de Santé, 2020b) :
Installation dans des dispositifs passifs :
o Durée de l’installation ?
o Quel type d’installation ? (transats, maxi-cosi, cocoon baby, etc…)
Portage de l’enfant :
o Fréquence des portages ?
o Quel type de portage ? (écharpe, porte bébé, bras uniquement)
o Facilité des parents à réaliser le portage ?
o Positionnement du bébé dans les différents portages
o Positionnement répétitif ?
o Bassin enroulé en avant ou rachis en extension ?
Utilisation des phases d’éveils ?
o Fréquence et durée du maintien dans des phases d’éveil ?
o Quel matériel pour les phases d’éveil ? (arche, tapis d’éveil, parc)
o Quel espace dédié à l’éveil de l’enfant ?
Ces mêmes questions pourraient s’appliquer lorsque l’enfant est avec une nounou ou à la crèche.
b - Observation et évaluation du crâne
Après avoir réalisé l’anamnèse, il sera désormais temps d’observer et d’examiner le nourrisson afin d’évaluer la plagiocéphalie ainsi que la motricité de l’enfant. Selon certains auteurs, cette observation devrait être réalisée selon une vue supérieure, postérieure et antérieure (Losee & Corde Mason, 2005).
Concernant le crâne du nourrisson, l’évaluation peut apporter des informations sur :
La forme globale du crâne qui renseigne sur trois tableaux cliniques pouvant être identifiés : (Beuriat et al., 2019b; Haute Autorité de Santé, 2020b; Pommerol, 2011)
o Plagiocéphalie : elle se caractérise par un méplat occipito-pariétal unilatéral (forme légère, soit78,3% des cas (Mawji et al., 2013), un bombement occipito-pariétal controlatéral ainsi qu’un déplacement antérieur de l’oreille du côté homolatéral (forme modérée) et un bombement fronto-pariétal homolatéral (forme sévère). Généralement, le crâne prend alors une forme de parallélogramme.
o Brachycéphalie : celle-ci se caractérise par un méplat occipital bilatéral, un bombement frontal.
o La plagiocéphalie malformative (ou craniosténose) : cette dernière constitue un diagnostic différentiel relevant d’une intervention médicale appropriée. Elle se caractérise par une forme trapézoïdale (dans le cas de la synostose lambdoïde). Ainsi, dans la plagiocéphalie occipitale, s’il y a un méplat postérieur à droite, la saillie frontale sera à droite. À l’inverse, dans la craniosténose lambdoïde, elle sera à gauche. L’oreille est alors reculée du côté du méplat occipital (alors qu’elle est avancée dans la plagiocéphalie positionnelle). De même, une crête osseuse peut être palpée au niveau de la suture lambdoïde. De plus, cette déformation apparaitrait dès la naissance du nourrisson (contre quelques semaines ou mois pour la plagiocéphalie).
Les Fontanelles : les six fontanelles (antérieure, postérieure, sphénoïdale X2 et mastoïde X2) devront être évaluées. Ces dernières peuvent être de tailles variables, souples, ni déprimées ni bombées. Il est à noter que la fontanelle postérieure se referme vers l'âge de 2 mois tandis que la grande fontanelle antérieure se referme à un âge qui peut varier de 6 mois jusqu'à 18 mois. Elle peut être quasiment fermée dès 3 mois sans caractère pathologique.
Sutures : normalement bord à bord et mobiles, elles peuvent se chevaucher dans les premiers jours de vie. La présence d'un bourrelet peut avoir un caractère pathologique. À noter que les sutures lambdoïdes sont les premières à se refermer et à s’ossifier à l'âge de 2 mois. D'où l'importance d'une prise en charge la plus précoce possible dès l'apparition d’une crête osseuse.
Afin d’objectiver l’évaluation du crâne du nourrisson, de nombreuses méthodes existent malgré le fait que de nombreux praticiens se basent sur leur « expertise » et peut varier d’un praticien à l’autre (Glasgow et al., 2007). Pourtant, il est possible de se servir de classifications cliniques ainsi que de mesures spécifiques :
c - Les classifications cliniques
S’il en existe plusieurs (échelle d’Argenta, l’échelle de sévérité pour l’évaluation de la plagiocéphalie, la classification pathogénique de Captier (Captier et al., 2011)) il est intéressant de noter que leur reproductibilité n’est pas parfaite. Ainsi, abordons la plus fréquemment rencontrée : l’échelle d’Argenta.
L’échelle d’Argenta (L. Argenta, 2004; Branch et al., 2015) est une échelle clinique de classification des déformations. Dedans, on retrouve 5 degrés d’évolution de la plagiocéphalie positionnelle : le type 1 désigne une déformation réduite à l’arrière du crâne. Le type 2 associe à cette déformation une malposition de l’oreille. Le type 3 associe à ces deux premiers facteurs une déformation du crâne. Le type 4 y ajoute une déformation de l’os zygomatique (ou malaire) tandis que le type 5 conclu par une décompression verticale ou temporale.
Concernant la brachycéphalie, celle-ci est alors classée en 3 degrés : un 1er degré où la déformation est localisée centralement sur la partie postérieure du crâne, un 2ème degré où on retrouve un élargissement pariétal et un 3ème degré où l’on retrouve une décompression temporale ou verticale. Les études s’étant penchées sur la reproductibilité de cette échelle montrent que cette échelle aurait une reproductibilité inter examinateur modérée et une intra examinateur plutôt bonne. De plus, elle serait facilement applicable en milieu clinique (sans matériel) et permettrait de donner un indice sur la sévérité de la plagiocéphalie ainsi que son évolution (Branch et al., 2015; Spermon et al., 2008). En revanche, le nombre de catégories devrait être diminué selon certains auteurs (Spermon et al., 2008)
d - Les mesures spécifiques
Comme l’indique certains auteurs, « des mesures physiques précises et cohérentes facilitent le diagnostic et la prise en charge clinique du nourrisson avec un crâne anormal » (Looman & Kack Flannery, 2012). Ainsi, afin d’obtenir des informations plus précises sur la morphologie du crâne, il est possible de réaliser des mesures spécifiques :
L’utilisation d’un compas présenterait l'avantage d'être fiable pour le suivi d'un enfant, si les mesures sont prises par la même personne tout au long de la prise en charge. Par contre, ce système présenterait une faible fiabilité inter opérateur (Blanchard, 2015) tandis que certains auteurs considèrent que la fiabilité inter et intra opérateur serait de bonne à excellente si les praticiens sont bien entrainés à la réalisation des mesures (Pastor-Pons et al., 2020).
Le pied à coulisse anthropométrique permettrait d’obtenir des mesures précises avec peu de variabilité en plus d’un faible coût à l’achat (Wilbrand et al., 2011). Cependant, il est à noter que l’étude évaluant ce système a été réalisé avec des examinateurs spécialisés dans ce domaine et suivant un même protocole. La reproductibilité de ces mesures en libéral serait donc questionnable.
Parmi les mesures d’intérêts, il pourrait être proposer la mesure de :
La longueur du crâne : elle sera mesurée entre la glabelle (entre les deux sourcils) et la protubérance occipitale externe (POE)
La largeur du crâne : elle sera mesurée au niveau le plus large de la tête (niveau pariétal)
Diagonales crâniennes : on la mesurera depuis la pointe occipito-pariétale jusqu’à la pointe controlatérale du front pour le coté sain et depuis le milieu de l’aplatissement jusqu’à la pointe controlatérale du front pour le coté́ plagiocéphalie. Ainsi, la diagonale maximale correspond toujours au côté sain. Une différence de 9 à 12mm représenterait une atteinte modérée tandis qu’une différence de plus de 12mm serait une atteindre grave (Jung & Yun, 2020)
La circonférence de la tête : Pour celle-ci, on utilisera un mètre ruban. La mesure sera réalisée au niveau de la glabelle et passera par la POE
Une fois réalisées les mesures, quelques calculs pourront être réalisés afin d’assurer le suivi (Beuriat et al., 2019b; Jung & Yun, 2020) :
L’index crânial : il correspond au ratio entre la largeur et la longueur du crâne. La formule correspondante est : largeur/longueur*100.
L’index d’asymétrie de la voute crânienne : il correspond au ratio entre la plus grande diagonale moins la petite diagonale et la grande diagonale. La formule est : (grande diagonale - petite diagonale)/(grande diagonale)*100. Un index supérieur à 3,5 représente une atteinte grave (Jung & Yun, 2020). Selon Han Kim et ses collaborateurs, un certain lien existerait entre l’asymétrie de la voute crânienne et le retard de développement (D. H. Kim & Kwon, 2020).
D’autres mesures pourraient être réalisées même s’ils semblent moins pertinents pour suivre l’évolution globale de notre patient.
Afin de pouvoir réaliser ces mesures, il est aussi possible de réaliser une plagiocéphalométrie dont le protocole a pu être détaillé par certains auteurs. Cette technique, utilisant des bandes thermoformables présenterait une excellente fiabilité inter et intra opérateur (van Vlimmeren et al., 2006). De plus, les données récoltées seraient comparables à celles obtenues lors d’examens plus complexes tels que le scanner (van Adrichem et al., 2008).
Finalement, les imageries pourraient être proposées mais sont rarement nécessaires. En effet, elles ne le sont que lorsque l’examen clinique est incertain (doute sur une synostose par exemple). Une imagerie en 3D ou stereophotogramme et/ou un scanner (tomographie assistée par ordinateur) peuvent être proposés (Flannery et al., 2016a; Haute Autorité de Santé, 2020b).
Il est à noter que pour l’heure actuelle, aucune recommandation n'existe sur les évaluations cliniques à réaliser en cabinet. Selon une revue datant de 2015, l’évaluation visuelle, l’utilisation de la flexicurve (une règle flexible, la mesure anthropométrique avec un compas/pied à coulisse ou une plagiocéphalométrie serait des mesures réalisables en pratique libérale (Siegenthaler, 2015). Il est à noter que certains praticiens préfèreront les évaluations cliniques tandis que d’autres privilégieront des mesures plus « objectives ». Il serait donc pertinent de s’interroger sur l’utilité des évaluations quantitatives et qualitatives, leur mise en place systématique ou pas, leurs impacts dans la prise en charge, mais aussi sur l’évolution de l’enfant et le caractère anxiogène qu’elles peuvent comporter.
D’un point de vue clinique, malgré l’absence d’études pouvant valider ou infirmer ces propos, il pourrait être intéressant de réaliser des mesures lorsque plusieurs éléments de bilan convergent vers une évolution pouvant être difficile comme par exemple :
Difficulté des parents à proposer des temps d’éveil, différents portages, etc....
Présence d’une crête osseuse à la palpation.
Asymétrie motrice, posture et réflexes en hyper-extension, anomalie du tonus (pouvant être neurologique ou non).
Présence d’un torticolis congénital avec hypo-extensibilité ou rétractions musculaires.
Prise en charge tardive (>3 mois).
e - Observation et évaluation de la motricité
L’observation et l’évaluation de la motricité pourrait se diviser en deux sous parties :
L’évaluation de la mobilité cervicale.
L’évaluation de la mobilité globale.
En effet, chacune de ces évaluations permettra d’obtenir de nombreuses informations quant au nouveau-né. La mobilité cervicale pourra renseigner sur une possible asymétrie ou un possible torticolis tandis que la mobilité globale permettra d’apporter des informations sur des troubles éventuels du tonus, une asymétrie globale de la motricité ou d'autres types d’atypies motrices (motricité pauvre, stéréotypies motrices, autostimulations, anomalie des réflexes archaïques, retard des acquisitions motrices, etc...).
f - Évaluation de la mobilité cervicale
L’objectif de cette appréciation sera d’évaluer si l’enfant présente une différence de mobilité passive/active ou si cette mobilité est asymétrique. La sévérité de la plagiocéphalie pourrait d’ailleurs être corrélée à la diminution de mobilité active du cou vers la restriction (Pastor-Pons et al., 2021b).
D’une manière générale, la mobilité passive sera difficilement dissociable de la mobilité active chez le nourrisson. L'examinateur devra donc par des manipulations douces et indolores rechercher les amplitudes en inclinaison et rotation (si possible la tête dans l'axe). La mobilité dans le plan sagittal sera évaluée afin d’obtenir des informations plus globales (voir annexe).
Concrètement, les amplitudes articulaires passives du cou pourront être évaluées en prodécubitus afin d’obtenir une meilleure reproductibilité ou en décubitus si le nourrisson ne se laisse pas faire en prodécubitus. En temps normal, la rotation passive chez le nourrisson est de l’ordre de 100 à 120° alors que la latéroflexion est de 70° (Pommerol & El Sabbagh, 2013). Les amplitudes actives pourront quant à elles être évaluées en décubitus dorsal à partir de mouvements spontanés du nourrisson qui seront stimulés visuellement ou auditivement. Chez le nouveau-né, des objets placés à 20cm pourraient être utilisés (Filisetti et al., 2020). À la suite de cette évaluation, il sera possible de définir :
Quelle mobilité utilise facilement l'enfant ?
Est-elle symétrique ? Si non, il sera important de rechercher l’origine de cette asymétrie :
o Est-ce une asymétrie environnementale pouvant être liée aux portages, à la position du bébé dans son lit la nuit ?
o Est-ce une asymétrie périnatale pouvant être liée à l'expérience de la grossesse et/ou à l'accouchement ?
o Est-ce une asymétrie « structurelle » pouvant être liée à un torticolis congénital, un trouble neurologique et/ou sensoriel ?
Dans le cas du torticolis, il sera intéressant de chercher s’il s’agit juste d’une rotation préférentielle sans hypo extensibilité musculaire (renvoyant donc à une asymétrie environnementale) ou s’il s’agit d’une hypo extensibilité musculaire avec contracture et/ou rétraction du sterno-cléido-mastoïdien avec ou sans présence d’une olive (renvoyant alors vers une asymétrie plus « structurelle »).
Dans le premier cas (le torticolis « postural »), le bébé est mobile et peut tourner, incliner la tête d’un côté comme de l'autre alors que ce n’est pas le cas dans le torticolis avec rétraction musculaire.
Avant de conclure sur la mobilité cervicale, il est essentiel de s’attarder sur le torticolis musculaire congénital. Ce dernier représente la troisième déformation néonatale en terme de fréquence après la dysplasie des hanches et le pied bot varus équin (Peyrou & Moulies, 2008). Il se définit comme une attitude asymétrique et permanente de la tête et du cou par rapport au plan des épaules. Il est dû à une rétraction unilatérale du muscle sterno-cléido-mastoïdien qui induit une déviation de la tête en inclinaison homolatérale, en translation et en rotation controlatérale. Le torticolis congénital est une maladie de nouveau-né dont l'évolution spontanée est favorable dans plus de 80% des cas (Kessomtini & Chebbi, 2014).
D’un point de vue physiopathologique, de nombreux mécanismes ont pu être évoqués allant d’une ischémie artérielle à une myosite en passant par la théorie génétique. Cependant, l’évidence scientifique n’accorde que peu d’authenticité à ces dernières (Peyrou & Moulies, 2008). En revanche, de nombreux articles mettent en avant l’existence d’un syndrome des loges similaire à un syndrome de Wolkmann (Wicart, 2012). Selon elles, durant la période périnatale, il se produirait une flexion-rotation de la tête, due aux contraintes utérines qui entrainerait une ischémie avec œdème du muscle SCM, lui-même enfermé dans son fascia cervical (Dusabe et al., 2013). De là, comme dans un syndrome de Wolkmann, il se produirait une rétraction du muscle avec fibrose pouvant dans les cas graves prendre une forme « d’olive », c’est la tuméfaction du sterno-cléido-mastoïdien (Peyrou & Moulies, 2008; Pommerol & El Sabbagh, 2013; Wicart, 2012). Dans certains cas, l’atteinte musculaire pourrait être liée à une contraction réflexe provoquant la contracture musculaire. Dans ce cas, elle serait liée à une position préférentielle, à une inflammation locale, un reflux gastro œsophagien voire une cause oculaire ou nerveuse (Pommerol & El Sabbagh, 2013).
Finalement, qu'il s'agisse d'un torticolis postural ou congénital avec rétraction musculaire, il sera essentiel d’évaluer la position de la tête dans les différents changements de position. Ceci nous amène donc à la prochaine partie.
g - Évaluation de la motricité globale
L’objectif de l’examen de motricité sera d'identifier les possibles « facteurs moteurs » pouvant influencer sur la croissance du crâne. Par exemple, un bébé présentant une certaine hypotonie ou un patron moteur orienté vers l’hyper extension ou encore une motricité asymétrique pourrait présenter plus de contraintes externes sur certaines parties de son crâne. À l'inverse, un nourrisson avec une motricité symétrique libre et harmonieuse, un bon enroulement de l’axe, une bonne variation des positions asymétriques (réflexe tonique asymétrique du cou) pourrait présenter une meilleure répartition des appuis lors du décubitus dorsal.
Si le lien de causalité entre le développement moteur et l’apparition de la plagiocéphalie n’est pour l’instant pas établi, il semble que ces deux soient intimement liés (Collett et al., 2021). Il est donc pertinent d’évaluer cette motricité.
Afin de faciliter la lecture de ces mobilités, il sera possible d’évaluer la motricité spontanée, la mobilité libérée ainsi que la motricité provoquée :
La première évaluée, la motricité spontanée aura pour objectif de déterminer comment bouge le bébé en absence d’interaction avec l’adulte. Théoriquement, elle se réalise en décubitus dorsal sur un support ferme mais confortable pour le nourrisson entre 0 et 2 mois.
La seconde, la motricité libérée s’utilise en présence d’inconforts, de difficultés ou d’asymétries dans le mouvement. Il s’agit ici de placer l’enfant dans une position facilitante avec un soutien postural et/ou un enroulement du bassin afin d’observer si le bébé bouge différemment (Grenier, 1997).
La troisième, la motricité provoquée a pour objectif de réaliser des mouvements pour le nourrisson afin d’observer les réactions du nouveau-né. Par exemple, il est possible de faire rouler le bébé sur le côté/ventre/dos afin d’observer si l’enfant oublie un bras derrière lui ou s’il déclenche un réflexe de moro. S’il est en capacité de maintenir la position assise, il est possible de le faire asseoir en passant par la position ventrale (film) afin d’observer s’il prend appui sur ses mains et si ces dernières restent ouvertes. Les réactions parachutes antérieures, latérales et postérieures pourront être évaluées. Il est possible d’étayer l’évaluation de la motricité provoquée par le biais des aptitudes motrices innées telles que décrites par le Métayer (Bingler, 2002).
Tout au long de ces évaluations, il sera donc important d’évaluer la qualité des mouvements, leur vitesse, fluidité et amplitude tout en observant la présence de possibles mouvements en extension anormaux ou asymétriques. Un développement psychomoteur harmonieux permettra une bonne variabilité des mouvements dans l’espace, une variation dans les vitesses et les amplitudes. De plus, il n’y aura pas de côté préférentiel et l’enroulement sera réalisé facilement. Une bonne association entre l’axe, la tête et les membres sera nécessaire avec une bonne combinaison des mouvements (rotations, flexion/extension, inclinaisons, pronation/supination, éversion/inversion).
À l’inverse, un développement inadéquat se traduira par des saccades, des mouvements anormaux, des retards d’acquisition motrice ou des manifestations atypiques de certains réflexes archaïques. Pour ce dernier cas, il sera adéquat de définir si ces réflexes sont adaptés en fonction de l’âge du nourrisson et de son stade de développement. Pour en savoir plus à ce sujet, n'hésitez pas à consulter les annexes dédiées au développement de l'enfant de 0 à 1 an, à la préhension du nourrisson ou aux aptitudes motrices innées du nourrisson.
Afin de compléter cette évaluation, il est important de se rappeler que l’enfant n’est que peu de temps avec le praticien. Ainsi, les photos et/ou vidéos de l’enfant au quotidien peuvent permettre une meilleure compréhension sur la problématique du nourrisson. Dans certains cas, une visite à domicile pourrait être envisagée bien que cette dernière peut être difficile à mettre en place.
De même, il sera important d’évaluer la motricité de l’enfant sur un support ferme comme décrit précédemment, mais aussi dans ses « installations » ainsi que dans les bras du parent afin d’en apprendre plus sur le lien parent-enfant. En pratique, on peut rencontrer un enfant se « moulant » facilement contre son parent ou à l’inverse un enfant résistant au contact du parent (avec une raideur de l’axe, un patron hyper-extenseur) ou un enfant « hypotonique » au contact avec son ascendant. Une attention particulière sera portée à la direction du regard.
De même, il pourrait être intéressant de se servir des manœuvres décrites par Amiel Tison afin d’évaluer le tonus passif de l’enfant tout en détectant de possibles réflexes archaïques. Pour plus d'informations, consulter l'annexe dédiée au bilan d'Amiel Tison.
h - Les états de veille du nourrisson
Tout au long du bilan, il sera intéressant d’évaluer les états de veille du nourrisson ainsi que leur régulation. Concernant ce sujet, les travaux du Dr Brazelton ont permis de mieux identifier les capacités d'autorégulation du bébé, et ses compétences innées pour la communication (“Colloque,” 2001; Fabre-Grenet, 2018; Hays, 2017).
Selon Brazelton : « c’est le bébé qui enseigne à ses parents comment le comprendre ». Ainsi, la reconnaissance et le respect des différents états que traverse le nourrisson lors de l’examen devra être réalisé (“Colloque,” 2001). Afin de clarifier ces états, il est possible de les diviser en six grandes catégories (Brazelton & Cramer, 1994) :
Le sommeil profond : l’enfant se couche tranquillement sans bouger, les yeux sont bien fermés, la respiration est profonde, le bébé peut avoir de brefs sursauts mais ne se réveille pas.
Le sommeil agité (ou sommeil léger) : le nouveau-né se déplace pendant son sommeil, présente des secousses ou fait des grimaces, il sursaute aux bruits, les yeux sont fermés avec des mouvements oculaires, la respiration est irrégulière et superficielle.
L’état de somnolence : le nourrisson somnole, les yeux peuvent s’ouvrir ou se fermer, les extrémités peuvent bouger, la respiration est régulière, mais moins profonde que durant le sommeil profond. Dans cette phase, le bébé peut être stimulé vers un état plus alerte.
L’éveil calme : le corps et le visage sont relativement calmes. Les stimulations produisent des réponses prévisibles. C'est l'état dans lequel votre bébé est le plus disposé à « travailler ».
L’éveil agité : entre l’éveil calme et les cri-pleurs, le bébé reste disponible et des stimulis externes apaisant peuvent être proposés.
Le cri-pleur : dans cet état, le nourrisson peut chercher à attirer l’attention (soignant/parent). Différents types de cris peuvent communiquer la faim, la douleur, l'ennui ou la fatigue.
L’observation du passage entre ces différents états selon Brazelton permettra d’établir la capacité du bébé à passer d’un état à l’autre, mais aussi d’identifier les moyens permettant d’apaiser le nouveau-né (succion, bercements, voix du parent, etc…). Afin de faciliter cette évaluation, il sera possible de se servir de l’échelle de Brazelton qui évalue les états de veille, l’expression de la motricité, les réflexes ainsi que les capacités de communication. Ces informations devront être partagées avec le parent afin que ce dernier trouve le moment adapté pour appliquer un portage plus qu’un autre, pour réaliser tel mouvement plutôt qu’un autre ou pour utiliser une technique plus qu’une autre (Hays, 2017).
i - Empathie et Attitude du Praticien
Finalement, si l’ensemble du bilan a pour objectif de se rapprocher de ce qu’il se fait de plus précis scientifiquement, il est essentiel de rappeler que le praticien aura comme patient un nouveau-né et ses proches. D’ailleurs, de récentes études ont pu montrer que la qualité de vie des parents ainsi que de l’enfant serait impactée par la plagiocéphalie (Ryall et al., 2021)
Il sera donc essentiel de faire preuve d’empathie. Définie par R.Doron, cette dernière constitue donc une « intuition de ce qui se passe dans l’autre, sans oublier toutefois qu’on est soi-même, car dans ce cas il s’agirait d’identification » (Albaret et al., 2018).
Comme le disait Golse en 2008 : « la modernité ne vise pas à évacuer la subjectivité, ce qui serait scientiste et non pas scientifique, mais bien au contraire à en faire un outil central du travail (…) Parmi les moyens de prendre en compte la subjectivité, se trouve donc précisément l’empathie … » (Golse, 2008).
Il est donc clair que l’empathie est une pièce importante de la prise en charge de ce type de patients. L’utilisation d’outils techniques en l’absence d’empathie ne permettra pas de créer un lien avec la famille et l’enfant. De plus, la quête du bilan « objectif » en pédiatrie est illusoire, pas toujours souhaitable et peut parfois être influencée par les émotions du thérapeute.
Un bilan qualitatif aura donc pour objectif d’observer le crâne, ses déformations et ses mesures mais aussi de chercher à comprendre l'origine de cette déformation afin d'anticiper sur son évolution :
La plagiocéphalie résulte-t-elle d'une asymétrie pré existante à la naissance ? Dans ce cas, la prise en charge sera plus longue, et les conseils aux parents ne suffiront pas.
La plagiocéphalie résulte-t-elle d'installations au quotidien non adaptées ?
Est-elle associée à une hypotonie de l'axe ? Ou des mouvements en hyper extension ?
De plus, l’empathie du praticien devra être dirigée vers l’enfant, mais aussi les parents. En effet, il est important de respecter la sensibilité des parents puisqu’un accouchement peut être traumatisant pour l’enfant, mais aussi pour les parents. Certaines mamans en particulier ne sont pas toujours prêtes à en parler rapidement. La prise de contact lors du premier rendez-vous sera donc essentielle. Elle doit être menée de façon à aider le parent à se sentir le mieux possible pendant la séance. De même, les questions posées devront s’adapter à la réceptivité du parent. Cette dernière évoluera au fil des séances.
Finalement, il est important de faire preuve d’humilité face à la prise en charge des nourrissons. Apprendre à observer les bébés demande beaucoup de temps et d'expérience. Il faut donc rester très vigilent sur nos observations qui peuvent dépendre de nombreux facteurs (parent/enfant/praticien/environnement). Il est toujours utile d’échanger avec d'autres collègues autour de nos observations. Plus vous aurez l'opportunité de regarder des bébés bouger, plus votre regard s'affinera. De même, la détection de possibles maltraitances infantiles devrait faire partie intégrante du bilan. Pour en savoir, n' hésitez pas à consulter l'annexe dédiée aux violences et maltraitantes infantiles.
Bibliographie
Ahluwalia, R., Kiely, C., Foster, J., Gannon, S., Wiseman, A. L., Shannon, C. N., & Bonfield, C. M. (2020). Positional posterior plagiocephaly: A single-center review. Journal of Neurosurgery: Pediatrics, 25(5), 514–518. https://doi.org/10.3171/2019.12.PEDS19651
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