Dans cette masterclass vidéo captivante intitulée "La cicatrisation du LCA, une opportunité oubliée", nous aborderons un sujet essentiel qui remet en question certaines croyances répandues. En tant que professionnels de la santé, nous sommes souvent confrontés à la nécessité de combattre les fausses idées chez nos patients, mais il est tout aussi important de remettre en question nos propres convictions.
Nous examinerons en profondeur l'intérêt de la chirurgie après une rupture du ligament croisé antérieur (LCA). Vous découvrirez avec surprise que la chirurgie n'est pas nécessaire pour guérir ou pour reprendre une activité sportive après cette blessure. De plus, nous discuterons de l'idée fausse selon laquelle la chirurgie protège l'articulation contre l'arthrose.
Lors de cette masterclass, nous mettrons en lumière l'aspect souvent négligé de la cicatrisation naturelle du LCA et soulignerons son importance dans le processus de rééducation. Il est essentiel d'informer nos patients sur cette possibilité de cicatrisation avant de prendre une décision chirurgicale.
Contexte
Dans cette présentation, Benoit Pairot de Fontenay partage les connaissances actuelles sur la cicatrisation du ligament croisé antérieur (LCA). Il commence par rappeler les deux principales stratégies thérapeutiques post-rupture du LCA, ce qui nous conduit à discuter de la cicatrisation du ligament.
En consultation, de nombreux patients pensent que la chirurgie est nécessaire pour guérir leur genou, reprendre leur sport ou prévenir l'arthrose. Ces croyances peuvent être influencées par des informations provenant de professionnels de la santé, du grand public ou des médias. Cependant, il est crucial de se référer à la science actuelle pour fournir des réponses précises et éclairées aux patients.
Analyse de l'étude de Frobell et al. 2013
Benoit Pairot de Fontenay mentionne une étude particulièrement pertinente, le premier essai randomisé contrôlé de haute qualité, mené par l'équipe de Frobell et publié dans le British Medical Journal en 2013. Cet essai, connu sous le nom de KANON trial, évalue les différences entre deux prises en charge du ligament croisé antérieur.
L'essai randomisé contrôlé mené par l'équipe de Frobell divise les patients diagnostiqués avec une rupture du ligament croisé antérieur en deux groupes : ceux soumis à une chirurgie immédiate et ceux suivant une rééducation. Les patients du groupe rééducation continuent ce programme sauf en cas d'épisode d'instabilité fonctionnelle, défini par un dérobement associé à des douleurs et un gonflement, où ils sont réorientés vers la chirurgie, appelée chirurgie secondaire.
Il est souligné que les participants étaient majoritairement des sportifs de haut niveau, avec un score médian de 9 sur l'échelle de Tegner, ce qui indique une pratique de sports à risque pour le genou, tels que le football ou le rugby. Cette caractéristique de la population est cruciale pour l'analyse des résultats de l'étude.
Les résultats de l'étude montrent que, selon les réponses au questionnaire KOOS, qui évalue subjectivement la fonction, il n'y a pas de différence significative entre les trois groupes étudiés : chirurgie immédiate, rééducation seule et rééducation suivie d'une réorientation vers la chirurgie. Cela suggère qu'à deux ans après l'inclusion, les résultats étaient similaires dans les trois groupes. Ainsi, il est démontré que la chirurgie n'est pas nécessaire pour guérir le genou.
En examinant les taux de retour au sport après traitement dans les trois groupes, aucun écart significatif n'est observé entre la chirurgie immédiate, la rééducation seule et la rééducation suivie de la chirurgie.
Bien qu'il puisse y avoir une légère variation visuelle dans les pourcentages de retour au sport à deux ans, aucune différence statistiquement significative n'a été trouvée entre les groupes. Ainsi, il est démontré que la chirurgie n'est pas nécessaire pour reprendre le sport.
Contrairement à la croyance précédente selon laquelle la chirurgie pourrait prévenir l'arthrose en recréant la stabilité articulaire, les résultats de cette étude et d'autres recherches montrent que le taux d'arthrose est similaire entre les patients traités chirurgicalement et ceux ayant suivi une rééducation seule.
Il est maintenant établi que la rupture du ligament croisé antérieur augmente le risque d'arthrose, mais la chirurgie ne semble pas offrir de protection supplémentaire contre ce risque. Ainsi, la chirurgie ne présente pas d'avantages significatifs en termes de risque d'arthrose par rapport à la rééducation seule.
Revue systématique de Saueressig et al. 2021
Une revue systématique récente, publiée dans le British Journal of Sports Medicine en 2021, compile les résultats de trois essais randomisés contrôlés comparant la chirurgie primaire à la rééducation seule suivie éventuellement d'une chirurgie secondaire.
Ces essais confirment les conclusions de l'étude de Frobell et remettent en question le paradigme selon lequel l'instabilité anatomique post-rupture du ligament croisé antérieur devrait être traitée par une stabilisation chirurgicale pour obtenir les meilleurs résultats. Ainsi, cette revue systématique modifie notre compréhension traditionnelle du traitement post-rupture du ligament croisé antérieur.
Quelles hypothèses ?
Il existe plusieurs hypothèses pour expliquer pourquoi certains patients peuvent éviter une reconstruction chirurgicale du ligament croisé antérieur (LCA). Une première hypothèse suggère que certains patients possèdent une capacité neuromusculaire élevée, leur permettant un contrôle adéquat du genou pour reprendre les activités, y compris celles à risque.
Cependant, cette hypothèse n'est pas encore scientifiquement validée. Une autre hypothèse récente met en avant le rôle de la cicatrisation du LCA.
Contrairement à la croyance précédente selon laquelle la cicatrisation spontanée du ligament croisé antérieur (LCA) n'était pas possible, une étude récente publiée en 2023 révèle qu'à deux ans après la rupture du LCA, une cicatrisation spontanée s'est produite chez 28% des patients.
Cela remet en question les notions antérieures et souligne l'importance de prendre en considération cette possibilité de cicatrisation.
Étude de Filbay et al. 2023
Une analyse du sous-groupe rééducation seule du KANON Trial, comprenant 30 personnes, a été publiée dans le British Journal of Sports Medicine en 2023. Cette étude a révélé qu'à deux ans, 28% des patients de ce groupe présentaient des signes de cicatrisation du ligament croisé antérieur (LCA) à l'IRM. La cicatrisation à l'IRM se caractérise par la présence d'un ligament continu, soit normal soit légèrement distendu.
De plus, une évaluation de la laxité clinique a montré que 44% des patients avaient un test de Lachman normal ou presque normal, tandis que 75% présentaient un Pivot Shift normal ou presque normal. Ces résultats suggèrent la possibilité de cicatrisation spontanée du LCA chez certains patients traités uniquement par rééducation, avec des implications significatives pour la prise en charge clinique.
Dans l'article, des images IRM ont été utilisées pour illustrer le processus de cicatrisation du ligament croisé antérieur (LCA). Par exemple, pour l'un des patients, l'image initiale montrait une rupture complète du ligament. Cependant, cinq ans plus tard, l'image révèle que le ligament est maintenant continu, bien qu'il soit légèrement distendu. Ces résultats fournissent une preuve visuelle de la cicatrisation spontanée du LCA.
Dans cette étude, les résultats des patients ont été classés en fonction de leur satisfaction avec le traitement ou de son échec, en utilisant différentes sous-échelles du KOOS (score d'ostéoarthrose du genou). Les patients ont été répartis en trois groupes : ceux ayant suivi une rééducation seule avec cicatrisation du LCA, ceux ayant suivi une rééducation seule sans cicatrisation, et ceux ayant subi une chirurgie précoce.
Les résultats ont montré que les patients ayant suivi une rééducation seule avec cicatrisation du LCA ont obtenu des résultats satisfaisants à tous les niveaux de sous-échelle, sans aucun échec de traitement. En revanche, les autres groupes ont présenté des échecs de traitement, ce qui souligne la supériorité du traitement par rééducation seule en cas de cicatrisation du LCA.
Étude de Blanke et al. 2022
Je vais vous présenter maintenant les résultats d'une autre étude, extrêmement intéressante et qui montre des taux de cicatrisation très forts à 6 semaines post rupture du LCA, post inclusion dans l'étude.
Dans l'étude de Blanke et ses collaborateurs, les patients présentant une rupture du LCA ont été évalués par IRM et par un test clinique, le test de Lachman. Ceux avec un test positif ont été programmés pour une opération six semaines plus tard.
Lors de l'arthroscopie, les chirurgiens ont examiné si le ligament était complet, cicatrisé et tendu, et si les tests cliniques de Lachman et de Pivot Shift étaient négatifs. Une cicatrisation complète a été considérée si le ligament était présent, tendu et que les tests cliniques étaient négatifs.
L'étude a impliqué un échantillon important de 380 patients. Parmi eux, 54 ont montré une cicatrisation complète du ligament croisé antérieur à 6 semaines, ce qui représente environ 14,17% de l'échantillon total.
L'étude a révélé plusieurs critères anatomiques associés à une cicatrisation réussie du ligament croisé antérieur (LCA). En particulier, les ruptures proximales du LCA au niveau fémoral, les lésions en un seul faisceau plutôt qu'en deux, l'intégrité de la gaine synoviale, et une pente tibiale postérieure moins prononcée sont tous des facteurs associés à la cicatrisation du LCA.
Recommandations cliniques
Il est crucial d'informer les patients sur la possibilité de cicatrisation du ligament croisé antérieur (LCA) et de leur donner le temps nécessaire pour que cela se produise. La rééducation immédiate est primordiale, avec un minimum de trois mois de rééducation recommandé avant de considérer une intervention chirurgicale.
Les critères pour une intervention chirurgicale comprennent les lésions associées telles que les ménisques symptomatiques et les épisodes d'instabilité fonctionnelle récurrents. Sinon, une réévaluation de la laxité clinique et de la stabilité fonctionnelle est effectuée après trois mois de rééducation pour guider la décision de poursuivre la rééducation ou de discuter d'une intervention chirurgicale secondaire.
Comment informer les patients ?
Un livret d'informations a été élaboré pour aider à la prise de décision concernant la cicatrisation du ligament croisé antérieur (LCA). Ce livret met l'accent sur l'importance de réunir une équipe multidisciplinaire, de commencer la rééducation immédiatement et de permettre au genou de récupérer un niveau fonctionnel minimal avant de décider du traitement à suivre.
Il encourage également la prise de décision partagée entre le patient et l'équipe médicale, en mettant en valeur les critères pouvant orienter vers la chirurgie. Cette approche collaborative impliquant des médecins du sport, des kinésithérapeutes et des chirurgiens offre les meilleurs résultats pour les patients.
Take Home Message
La principale leçon à retenir de cette masterclass est que le ligament croisé antérieur (LCA) peut cicatriser. Il est crucial de diffuser cette information et de la partager avec les professionnels de santé et les patients. Il est recommandé de débuter la rééducation avant de prendre une décision sur le traitement à suivre, sauf dans des cas spécifiques nécessitant une intervention urgente.
En laissant le temps à la cicatrisation de se produire et en continuant la rééducation, les patients ont les meilleures chances d'obtenir des résultats optimaux après une rupture du LCA.