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Les douleurs fémoro-patellaires - Introduction à la pathologie
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La douleur fémoro-patellaire (PFP) est l'une des affections du genou les plus courantes chez les adolescents actifs et les jeunes adultes (Arroll et al. 1997 ; Milgrom et al. 1991 ; Sanchis-Alfonso et al. 1999) avec un taux de prévalence de 7 à 13% (MichaelS Rathleff et al. 2013; Roush et Curtis Bay, 2012). D’après l’étude de Bolinget al., 2010, ce syndrome est davantage susceptible de se développer chez les femmes que chez les hommes.
Les symptômes sont caractérisés par des douleurs antérieures, rétro- ou péri-patellaires lors d'activités telles que s'accroupir, s'agenouiller, s'asseoir de manière prolongée, monter ou descendre des escaliers, courir et sauter (Thomee et al. 1999 ; Thomee et al. 1995). Les patients diagnostiqués avec des PFP ont tendance à présenter des limitations importantes non seulement dans leurs tâches et activités quotidiennes, mais aussi au travail et pendant le sport (Glaviano et al. 2015).
1 - Introduction à la pathologie
Lorsqu’on parle de douleurs antérieures de genou, il peut s’agir de nombreuses pathologies. Voici une liste non exhaustive de pathologies possibles. Le plus souvent, les patients se plaignant de douleurs antérieures de genou présenteront ce qu’on appelle des douleurs fémoro-patellaires. En termes de probabilité, on retrouve juste après les tendinopathies patellaires. Il existe également des pathologies un peu moins communes pouvant provoquer des douleurs antérieures de genou (bursite, Sinding-Larsen, douleurs référées, etc…), des douleurs liées à des symptômes plus généraux, etc…
a - Que sont les douleurs fémoro-patellaires ?
Actuellement, on préfère utiliser le terme de « douleur fémoro-patellaire » (Patello-Femoral Pain : PFP) plutôt que celui de "syndrome fémoro-patellaire" de manière à exclure d’autres pathologies patellaires comme par exemple les instabilités patellaires, les épisodes de luxation patellaire etc.. Ici on parle vraiment de douleur fémoro-patellaire.
Le diagnostic d’un PFP est relativement compliqué à réaliser. Ce dernier résulte la plupart du temps d’un diagnostic différentiel (Al-Hakim et al. 2012 ; Näslund et al. 2006) lorsque toutes les autres pathologies du genou ont été écartées. Cette période peut être relativement longue et il n’est pas rare que les sujets ne consultent qu’à partir du moment où les douleurs deviennent vraiment embêtantes.
Les symptômes sont caractérisés par une douleur anté-, rétro- ou péri-patellaire, aggravée lors d’activités en charge comme le squat, sauter, s’accroupir, monter et surtout descendre les escaliers, courir… (Thomee et al. 1999; Thomee et al. 1995). C'est une douleur assez vague, diffuse, souvent mal définie par le patient (Davis et al 2010).
Ces 2 éléments sont indissociables : si un patient présente des douleurs diffuses dans le genou mais qui ne sont pas augmentées par une activité qui stresse l’articulation fémoro-patellaire, on ne peut pas parler de douleurs fémoro-patellaires.
On retrouve parfois certains symptômes aspécifiques, c’est-à-dire des symptômes qui ne sont pas typiquement présents chez tout le monde. Ça peut être un gonflement, souvent subtil. De même, au début des symptômes, le patient peut rapporter des craquements ou des grincements de son genou plus fréquents, des mini-blocages ou encore une douleur à la palpation (Thomee et al. 1999 ; Thomee et al. 1995). Pour pouvoir considérer que des signes comme les grincements, les craquements etc soient des signes contributifs et associés aux douleurs fémoro-patellaires, il faut s’assurer qu’ils aient débuter en même temps que les symptômes douloureux. Un autre signe aspécifique mais souvent présent, est le signe du cinéma. Le patient présente des douleurs après 10-15 minutes de position assise prolongée par exemple (Collins et al. 2016). Parfois le patient dit qu’il ne ressent pas de douleur en position assise mais qu’il ressent tout de même le besoin d’allonger son genou. Il n’a pas vraiment mal mais adapte plutôt sa position en prévention.
b - Epidémiologie
C'est une pathologie extrêmement courante qui touche davantage les filles que les garçons : 2 femmes pour 1 homme (Boling et al. 2010). Le sexe féminin est d'ailleurs considéré, avec un niveau de preuve 2, comme un facteur de risque de développer un PFP (Willy et al. 2019). On retrouve une incidence de 9 à 15% de la population active. C’est-à-dire qu’une personne sur sept va développer au cours de sa vie des douleurs antérieures de genou. On se rend compte que ce sont surtout les jeunes entre 12 et 19 ans (Callaghan et al. 2007 ; Witvrouw et al. 2013) qui vont développer un PFP mais cette prévalence peut varier en fonction du niveau d'activité et du contexte environnemental. À titre de comparaison, de nombreuses autres pathologies au niveau du genou se développent souvent au-delà de ce jeune âge : les tendinopathies, l’arthrose, etc...
c - Pronostic
L’ennui avec le diagnostic d’un PFP, c’est qu’il est souvent associé à un pronostic peu encourageant. Pour ce qui est des tendinopathies et des pubalgies, ces pathologies ont tendance à s’améliorer d’elles-mêmes, « sans rien faire », leur évolution naturelle est positive. Concernant le PFP, ce n’est pas vraiment le cas : l’évolution naturelle et le fait d’être simplement patient ne suffit pas. Certains experts ont réalisé des études de suivi sur 5 ans, 10 ans, 15 ans et se sont aperçus qu’après 5 à 8 ans, la moitié des sujets qui avaient développé une douleur antérieure de genou présentaient toujours des douleurs (Lankhorst et al. 2016). C'est donc une pathologie qui a tendance à être récurrente et à se chroniciser malgré une rééducation. Bien entendu, il est possible que la rééducation ait été trop courte. Dans cette étude de Lankhorst et al. (2016), on parle d’une rééducation de 6 semaines maximum.
Pour comparer de nouveau avec un autre type de pathologie, si un patient se présente au cabinet avec une tendinopathie patellaire depuis 1 an, il y a de fortes chances que même sans « rien faire », ce patient ne présente plus (ou quasiment plus) de douleur 1 an plus tard. Bien entendu, si le patient répète les mêmes erreurs d’entraînement en surchargeant de nouveau son tendon, cette tendinopathie peut refaire surface.
Il a été démontré que les patients qui développent un PFP et qui ont tendance à ne pas évoluer positivement, sont ceux qui souffrent de douleurs antérieures de genou depuis un certain temps. Le fait d’avoir déjà eu des douleurs fémoro-patellaires depuis 1 an favoriserait significativement le fait d’avoir des douleurs 5-6 ans plus tard (Lankhorst et al. 2016).
On peut donc en déduire qu’il est important d’effectuer une prise en charge précoce et de longue durée pour pouvoir prévenir une chronicisation et une récurrence des douleurs fémoro-patellaires. Nous le verrons plus loin dans le module mais cette rééducation s’appuie énormément sur l’éducation des patients.
d - Quelles sont les hypothèses pour expliquer les douleurs chez les patients ?
On sait que les douleurs liées au PFP ont tendance à être sous-estimées. Face à ces douleurs qui persistent, on remarque que certains patients diminuent leur activité sportive, voire l’arrêtent totalement, ce qui a tendance à augmenter le taux de sédentarité dans la population PFP (Smith et al. 2018). Or on connaît aujourd’hui tous les effets délétères de la sédentarité sur les structures musculo-squelettiques et plus généralement sur la santé.
À ce jour, 4 grands modèles peuvent expliquer les douleurs d’un patient liées aux PFP (Lack et al. 2018). Aucun de ces modèles n’expliquera à 100% la réalité d’un patient qui sera devant nous. Cependant, il peut être intéressant de déterminer quel est le modèle prédominant chez notre patient.
1 - Modèle biomécanique
Dans un premier temps, nous allons aborder le modèle biomécanique qui pendant longtemps constituait le seul modèle sur lequel les thérapeutes se basaient pour soigner un patient. Ce modèle stipule que certaines altérations de la biomécanique des membres inférieurs entraînent un mauvais cheminement (maltracking) de la patella par rapport à la trochlée fémorale (Power et al. 2010). Ce mauvais déplacement de la patella surchargerait l’articulation fémoro-patellaire qui à son tour pourrait affecter les diverses structures fémoro-patellaires pouvant contribuer à la nociception (c.-à-d. l'os sous-chondral, le coussinet adipeux infra-patellaire, le rétinaculum et les structures ligamentaires) (Powers et al. 2017).
C'est donc une vision très biomécanique du problème et un certain nombre de patients vont bien correspondre à ce modèle. S'il reste plausible que ce modèle représente la principale voie nociceptive, chez certains individus, la complexité du système nerveux central dans lequel cette nociception périphérique est traitée, oblige le clinicien à être attentif aux caractéristiques psychosociales des individus en plus des théories biologiques et des concepts (Maclachlan, et al. 2017).
De plus, une des limites de ce modèle biomécanique est que la douleur en tant que telle va elle-même favoriser l’altération mécanique. Ce système biomécanique devrait donc également comporter des boucles / flèches de rétroaction. Une autre limite de ce modèle serait que certains patients vont présenter une biomécanique du membre inférieur tout à fait problématique, ou en tout cas "hors normes", mais ne vont cependant pas développer de syndrome fémoro-patellaire. À l’inverse, certains patients présentant des mécanismes du membre inférieur relativement normaux vont pourtant développer un PFP.
Il a été démontré récemment que les particularités anatomiques et biomécaniques du membre inférieur, comme par exemple les pieds plats ou pronateurs, les valgus du genou, et la bascule du bassin ne constituent pas des facteurs prédictifs de blessures. Au contraire, l'obsession thérapeutique à vouloir obtenir un alignement parfait et à corriger ces faux problèmes ont conduit pendant des années à une surmédicalisation et un traitement excessif de ces éléments (La clinique du coureur, 2019).
Concernant les altérations biomécaniques qui créent un mauvais cheminement de la patella, certains auteurs ont observé que lorsque certains patients effectuent des activités en charge, comme par exemple un squat, une montée d’escalier, la course à pied ou autre, le pic de contrainte sur l’articulation fémoro-patellaire se concentre sur une plus petite surface chez les patients PFP comparé aux sujets sains (Salsich et al. 2013 ; Ward et al. 2007). Les zones de contacts sont plus latéralisées et les zones de pressions sont plus importantes chez les patients PFP (Farrokhi et al. 2011). Toutefois, un des gros biais de ces études transversales est qu’il s’agit de sujets déjà douloureux et donc une question se pose : est-ce que le maltracking est une cause ou une conséquence du PFP ? Probablement un peu des 2, mais dans tous les cas, il est certain qu’à partir du moment où le patient présente une douleur, il va modifier certains mouvements pour réduire la douleur ou du moins tenter de la contrôler.
Souvent, le développement et la persistance des symptômes du PFP sont attribués à des facteurs proximaux, distaux ou locaux qui augmentent ou modifient la charge / le stress sur l’articulation fémoro-patellaire (Powers et al. 2017). On parle des facteurs proximaux pour désigner tout ce qui est en lien avec la hanche et le tronc, des facteurs locaux pour désigner tout ce qui est en lien avec le genou, et des facteurs distaux pour ce qui est en lien avec la cheville, le pied, la jambe.
Le traitement du PFP en kinésithérapie reposerait principalement sur la régulation et la correction de ces différents facteurs pour ré-harmoniser l’équilibre biomécanique et optimiser ainsi le cheminement patellaire. Cependant on s’est rendu compte que ça ne suffisait pas pour améliorer les douleurs du patient. Par conséquent, à partir de ce constat, on ne peut pas se baser exclusivement sur ce modèle biomécanique.
La plupart de ces facteurs proximaux, locaux et distaux sont répertoriés sur ce schéma (D’après Powers et al. 2017). Ces facteurs vont soit diminuer la surface de contact fémoro-patellaire soit augmenter les forces de réaction au niveau de la région fémoro-patellaire. Tous ces facteurs-là vont influencer cette pression qui finalement va stimuler les fibres nociceptives et provoquer une douleur fémoro-patellaire. Ce modèle part donc du principe que ces déficits existent avant le développement des symptômes, ce qui pourrait potentiellement expliquer le principal facteur de surcharge et la perte de l’homéostasie tissulaire autour du PFP (Dye, 2005). Cependant, certains facteurs représentent davantage une conséquence du PFP plutôt qu’un facteur prédisposant. Ce modèle-là n’est donc pas suffisant pour tout expliquer.
1.1 - Dysfonctions du quadriceps
Prenons le 1er facteur. Le quadriceps a été énormément étudié en ce qui concerne la force et l’activation musculaire pour savoir si cela pouvait expliquer la survenue des douleurs fémoro-patellaires. Lorsqu’on parle du quadriceps, on fera surtout référence au vaste médial. Ce vaste médial se subdivise en deux sous-chefs à savoir le vaste médial latéral et le vaste médial oblique (VMO). Le vaste médial oblique est celui qui va s’opposer au mouvement latéral de la patella. Lorsque le quadriceps se contracte, les différents chefs vont bien évidemment se contracter, ce qui va engendrer des forces principalement compressives plus ou moins importantes sur la patella. En d’autres termes, lors de sa contraction, le quadriceps va pousser la patella contre la trochlée fémorale, et cette force va s’effectuer principalement dans un plan sagittal mais également dans un plan frontal. Selon l’activité relative des vastes médiaux et latéraux, il va y avoir davantage de force vers l’intérieur (en médial) ou davantage de force vers l’extérieur (en latéral). Une activation réduite et un temps d'activation retardé du VM par rapport au VL sont associés à une augmentation de l'inclinaison et du déplacement de la patella en latéral (Pal et al. 2011 ; Pal et al. 2012).
Il se trouve que les sujets souffrant de pathologies fémoro-patellaires ont tendance à présenter typiquement une activation retardée du VM par rapport au VL (Witvrouw et al. 2000 ;Tiggelen et al. 2009). En effet, le VMO n'est pas capable de contrebalancer la traction latérale du vaste latéral (VL) et maintenir la position centrale de la patella dans la trochlée fémorale (Engelina et al. 2014 ; Jan et al.2009). De plus, on sait que la douleur fémoro-patellaire va augmenter ce déséquilibre de manière spécifique. On peut également avoir une activité musculaire du quadriceps globalement retardée ou perturbée, ce qui peut aussi poser un problème étant donné que les contraintes vont être mal réparties sur toute la piste du mouvement.
La faiblesse du quadriceps s'est avérée être un facteur de risque pour le développement d’un PFP dans les populations militaires (Lankhorst et al. 2012). L'atrophie du quadriceps est également une constatation courante chez les personnes atteintes de PFP, mais uniquement lorsqu'elle est évaluée par imagerie, et non par circonférence ou évaluation visuelle (Giles et al. 2013). Cette atrophie peut être présente soit prospectivement soit rétrospectivement, c’est-à-dire que certains sujets qui vont développer une pathologie fémoro-patellaire ont à la base une atrophie plus importante et d’autres en revanche ont développé un PFP et seulement ensuite une atrophie du quadriceps.
Pour résumer les dysfonctions du quadriceps, on va s’intéresser aux études prospectives et aux études transversales. Les études transversales sont en quelques sortes un cliché photographique à un moment donné : on prend par exemple 50 sujets qui ont un PFP, et 50 sujets sains du même âge, même type d’activité etc… et on observe s’il existe des différences entre eux. Toutefois, ces études transversales ne permettent pas de connaître les facteurs de risques associés à cette pathologie étant donné que cette dernière peut modifier elle-même certains facteurs avec le temps. En revanche, les études plutôt prospectives permettent d’étudier les facteurs de risques liés à la pathologie.
Concernant le PFP, les études prospectives s’intéressent souvent aux militaires pour découvrir les facteurs de risques associés à une pathologie (Lankhorst et al. 2012). En effet, cette population regroupe généralement des individus du même âge, des caractéristiques souvent similaires, donc facilement comparables, d’autant plus qu’ils subissent une activité sportive souvent intense. Dans son étude en 2019, Willy et al. ont établi un guide de pratique permettant aux thérapeutes d’être au courant des dernières connaissances et pratiques concernant le PFP. Ils ont par conséquent résumé les facteurs de risques de développer un PFP par niveau de preuve.
Concernant les dysfonctions du quadriceps, on retrouve avec un niveau de preuve 1 (certitude assez grande) un déficit de force d’extension du genou (Lankhorst et al. 2012 ; Willy et al. 2019). Si votre patient se fait opérer des ligaments croisés et a suivi une rééducation insuffisante, il peut garder un déficit de force isométrique du quadriceps et donc être plus à risque de développer un PFP.
A propos des informations avec un niveau de preuves 2, généralement il y a 2-3 incohérences présentes dans la littérature mais la majorité des études vont dans le même sens. Avec un niveau de preuve 2, on retrouve donc une perte de souplesse du quadriceps, un retard d’activation du muscle vaste médial oblique (VMO), une réduction de la hauteur du saut vertical, une mobilité patellaire médiale plus importante que la normale (Willy et al. 2019 ; Witvrouw et al. 2000), une atrophie musculaire du quadriceps objectivée par imagerie et non par circonférence ou évaluation visuelle (Willy et al. 2019 ; Giles et al. 2013). À noter qu’étant donné que la plupart des études prospectives se sont limitées à la population militaire, l’extrapolation de ces résultats sur la population normale doit être faite avec prudence.
Concernant maintenant les conséquences du PFP sur les dysfonctions du quadriceps, les études transversales indiquent avec un niveau de preuve 1, un déficit de force du quadriceps notamment chez l’adulte et moins chez le jeune. L’adolescent par exemple souffre moins du déficit de quadriceps que l’adulte. On retrouve également une activation déficitaire que ce soit du quadriceps globalement ou du vaste médial. C’est-à-dire qu’ici la douleur a probablement encore majorée ce déficit d’activation. De même l’atrophie musculaire est quelque chose qui a été démontré comme étant présent également après l’installation de la pathologie.
La douleur a donc un rôle extrêmement important dans la pathologie PFP : des études montrent que plus c’est douloureux, plus la fonction du quadriceps est perturbée et plus le patient va présenter un déficit majeur de la force musculaire par exemple (Nakagawa et al. 2011). Cette théorie est également vraie s‘il y a eu une évolution de la douleur, c’est à dire que si un patient avait une douleur modérée puis sévère, la force musculaire va être davantage perturbée. On retrouve ces éléments comme facteurs de risque de développer un PFP mais il semble que ces facteurs soient probablement majorés lorsque la douleur est présente.
1.2 Altération de la cinématique de hanche
Au niveau des muscles de la hanche, les facteurs proximaux : la force, l’activité musculaire, l’endurance et la puissance musculaire ont été étudiés au sein des cohortes PFP. Sur la base de 3 études prospectives de grande qualité inclues dans la revue systématique de Rathleff et al. (2014), on trouve des preuves modérées à solides qu’aucune association n’existe entre le déficit de force isométrique des abducteurs, extenseurs, rotateurs internes et externes de hanche et le risque de développer un PFP. En revanche, les résultats de plusieurs études transversales de cette même revue systématique fournissent des preuves modérées à solides que les patients atteints de PFP présentent un déficit de force isométrique de la musculature de la hanche (Rathleff et al. 2014). On peut donc en déduire que c’est bien la douleur qui amène le déficit.
Si on ne prend que les études transversales, les auteurs ne sont pas tous d’accord. Certains trouvent qu’il n’y a pas de différence entre les sujets PFP et les non PFP, d’autres oui, mais si on additionne tous les éléments et si on réunit toutes les données de toutes les études, on peut dire que globalement il existe un déficit de force isométrique chez ces sujets qui ont un PFP et plus particulièrement pour les abducteurs de hanche, les rotateurs externes et les extenseurs de hanche (Van Cant et al.2014, Van Cant et al. 2017 ; Prins et al. 2009). Lorsque la pathologie est installée, les sujets vont donc développer une perte de force principalement du moyen fessier et du grand fessier.
Si on résume, les études prospectives montrent qu‘il n'y a pas de déficit de force chez les sujets qui vont développer un PFP au niveau des muscles de la hanche. Une étude a même trouvé que des jeunes femmes étaient plus à risque de développer un PFP si elles avaient une force excessive au niveau des abducteurs de hanche (Herbst et al. 2015). Il est possible que cette force excessive soit associée à une surcharge générale.
Les études transversales ont montré, avec un niveau de preuve 1, un déficit de force isométrique des abducteurs, rotateurs externes et extenseurs de hanche chez les patients souffrant d’un PFP. On retrouve un niveau de preuve 2 concernant le retard d’activation du moyen fessier chez les coureurs avec un PFP. Concernant l’endurance des abducteurs de hanche, on retrouve un niveau de preuve 3 : les résultats ne sont pas très clairs. Certaines études n’ont pas trouvé de différence entre les patients sains et les patients PFP (McMoreland et al.,2011). Van Cant et al. (2017) ont observé un déficit d’endurance isométrique des abducteurs de hanche chez des patientes souffrant d’un PFP. A contrario, Nunes et al. (2019) n’ont trouvé aucune différence entre les sujets sains et les sujets PFP concernant l’endurance dynamique des abducteurs de hanche. Toujours avec un niveau de preuve 3, on retrouve un déficit de puissance musculaire de hanche (Nunes et al. 2019). À noter une fois encore que ces facteurs sont davantage présents chez les femmes.
Dans une étude transversale de 2021 réalisée par Van Cant et al, les auteurs ont constaté que les déficits de force et d'endurance des abducteurs de la hanche sont plus prononcés chez les personnes souffrant de douleurs plus sévères et fréquentes.
1.3 Anatomie de l'articulation fémoro-patellaire altérée
L'angle Q est présent chez tout le monde. Il n’existe pas d’angle Q de 0°. Il permet de mesurer l’alignement du genou au niveau du membre inférieur. Cet angle est déterminé par le croisement de 2 lignes fictives : la 1ère ligne part de l’EIAS (Épine Iliaque Antéro-Supérieure) jusqu’au centre de la patella et la seconde ligne part de la TTA (Tubérosité Tibiale Antérieure) jusqu’au centre de la patella. Longtemps on a cru que l’angle Q était un facteur favorisant le développement du PFP. Cependant, il a été démontré, avec un niveau de preuve 1, que les sujets présentant un grand angle Q (valgus de genou statique) ne présentaient pas davantage de risques de développer un PFP (Willy et al. 2019 ; Freedman et al. 2014). La question reste ouverte par rapport à l’angle Q dynamique, à ce moment-là, on est plutôt dans des modifications de mouvements. Dans certaines situations, l’angle Q dynamique peut augmenter le risque de développer un PFP étant donné qu’il peut provoquer des mouvements inhabituels qui peuvent être moins supporter par le sujet.
Il est donc pertinent de retenir que la contraction du quadriceps favorise le déplacement latéral de la patella, d’où l’importance d’avoir un vaste médial bien activé.
Si un patient, pour une raison ou pour une autre présente une douleur au niveau du genou mais qui n’a rien à voir avec un PFP, cette douleur peut provoquer une atrophie musculaire du quadriceps pouvant entraîner à son tour une moindre activation du vaste médial. Dans ce dernier cas, le patient peut avoir une modification des contraintes sur un temps bref provoquant une contrainte excessive et donc une douleur. En revanche, si celle-ci est présente depuis toujours, à priori on peut supposer que le patient s’y est habitué et que ça ne va pas poser de problème.
Quels autres éléments sont éventuellement concernés ?
Une anatomie anormale au niveau de la patella et de la trochlée fémorale. Généralement, on retrouve un angle plus grand en latéral au niveau de la gorge de la trochlée fémorale car les contraintes liées à la contraction du quadriceps favorisent plutôt un cheminement latéral de la patella, c’est physiologique. Parfois, l'angle Q fait que, lorsque le quadriceps se contracte, on observe un mouvement patellaire latéral encore plus important.
De plus, certains sujets ont une trochlée fémorale moins profonde, ce qui va évidemment poser problème étant donné que les contraintes vont être réparties sur une plus petite surface. Cette caractéristique est reconnue comme étant un facteur favorisant du PFP.
On retrouve également la patella alta, qui se caractérise par une position haute de la patella. Une des conséquences de la patella alta est une moindre stabilité osseuse étant donné que la patella s’articule avec des parties peu profondes de la trochlée fémorale (Insal et al. 1971 ; Insal et al. 1972 ; Kannus et al.1992). L’inclinaison et le déplacement latéral de la patella sont plus fréquents chez les personnes atteintes de patella alta que chez les personnes ayant une hauteur patellaire normale (Ward et al. 2007 ; Pal et al. 2013). Cette patella alta est considérée comme un contributeur important du développement d’un PFP, néanmoins le kinésithérapeute n’a que peu d’action dessus.
A présent, nous allons nous intéresser à quelques facteurs distaux.
Avec un niveau de preuve 2, on remarque qu’une augmentation de l’éversion de l’arrière pied (pied pronateur) lors de la marche va entraîner une rotation interne du tibia et du fémur ainsi qu’une adduction de la hanche pouvant provoquer une surcharge sur l’articulation fémoro-patellaire.
Également avec un niveau de preuve 2 on retrouve :
- Une absence d’association entre l’indice de hauteur de l’arche du pied et le développement d’un PFP (Lankhorst et al. 2013).
- Une absence d’association entre l’alignement du pied (pieds creux ou pieds plats) et le développement d’un PFP (Willy et al. 2019 ; Waryasz et al. 2008).
- La présence d’une association entre la chute du naviculaire et le développement d’un PFP.
Avec un niveau de preuve 3 on retrouve un déficit de mobilité du pied.
En résumé, voici les principaux facteurs de risques et conséquences des douloureux fémoro-patellaires :
1.4 Modèle biomécanique et course à pied
Il n’est pas rare qu’un patient nous dise : « on m’a dit que j’avais une mauvaise technique de course », « j’ai mal aux genoux parce que je pense que je ne cours pas bien ». Qu’en est-il concrètement ? Est-ce que notre patient qui court avec une technique particulière, par exemple avec un valgus du genou très prononcé, avec un impact au sol très important pourrait être plus à risque de développer des symptômes PFP ? La réponse semble plutôt négative (Ceyssens et al. 2019). Dans la littérature, on ne trouve pas réellement une technique de course plus à risque de développer des blessures de manière générale. La revue systématique de Ceyssens et son équipe (2019) a particulièrement fait parler étant donné qu’elle coupait court à certaines croyances selon lesquelles des techniques de courses étaient plus susceptibles d’amener des blessures. Les auteurs ont montré qu’on pouvait certes retrouver quelques études indiquant que certains éléments de la course à pied pouvaient prédisposer à une blessure, mais il s’agissait généralement d’études avec peu de sujets et lorsqu’on regardait l’ensemble des études, on ne pouvait conclure qu’une technique de course puisse réellement être à risque de blessures.
Si on se penche tout de même sur les études qui ont rapporté une association entre la technique de course à pied et les douleurs fémoro-patellaires, citons l’étude de Noehren et al. 2013. Les auteurs ont montré que les sujets qui avaient un valgus du genou plus important allaient par la suite être davantage susceptibles de développer un PFP. Scientifiquement il y a donc une différence significative entre le groupe qui allait développer un PFP et le groupe contrôle.
Maintenant si nous parlons de la clinique, si nous recevons notre patient demain au cabinet, il est quasiment impossible de détecter que l’angle de hanche chez notre patient est un facteur de risque de PFP. Nous pouvons effectivement voir sur la diapositive ci-dessous que les valeurs de l’angulation en adduction de hanche pour le groupe contrôle est de 8,1 ± 4,5, ce qui veut dire que certains sujets contrôles de l’étude de Noehren et al. (2013) avaient une angulation semblable (environ 12°) au groupe qui a développer un PFP. Ces 4° (de 12 à 8) sont donc impossible à mesurer avec les instruments cliniques que nous possédons généralement au sein de notre cabinet.
Par conséquent, sur base de la revue systématique de Ceyssens et al. 2019 et du fait que certains éléments potentiellement à risque soient impossibles à détecter en clinique, il est préférable de ne pas trop s’attarder sur ces éléments. Nous verrons dans la partie traitement que la modification de ces éléments (ex : angulation de hanche) lors de la course à pied n'est pas du tout une intervention prioritaire.
Un point important toutefois à signaler est que bien qu’on ne puisse incriminer une technique de course à une réelle cause de PFP, de nombreuses études ont montré que les douleurs pouvaient être susceptibles de modifier la manière dont se déplace le coureur. Cela semble assez logique : si vous avez des douleurs de genoux, quelles vont être vos modifications de techniques de course probables ? Vous allez probablement moins fléchir le genou lors du contact du pied au sol, vous allez probablement davantage fléchir la hanche, davantage vous pencher en avant. Ce sont là, des astuces que nous allons utiliser spontanément pour diminuer les contraintes au niveau du genou.
Le fait de modifier cette flexion de genou et cette flexion de hanche va également modifier l’activation des muscles fessiers. L’allongement des muscles postérieurs qui va en découler va provoquer un allongement potentiel des récepteurs nerveux présents au niveau de ces muscles. Ces récepteurs vont alors modifier la fréquence de décharge aboutissant ainsi à un risque d’affaiblissement musculaire. Cet affaiblissement des muscles fessiers vont eux même entraîner une altération du contrôle des membres inférieurs et donc augmenter ce valgus du genou. Il s’agit donc d’une adaptation du corps qui est productive à court terme étant donné que le patient va moins charger son genou en flexion mais il va augmenter tout de même les contraintes via un moins bon contrôle des membres inférieurs.
Bien évidemment, tout ceci reste des hypothèses mais ce sont celles qui sont les plus communément admises.
2 - Modèle de l’homéostasie tissulaire de Dye (1999)
Le modèle de l’homéostasie tissulaire de Dye (1999) est le modèle qui explique probablement le plus de situations, mais ce n’est pas pour autant qu’il est dominant. Le modèle de Dye a été développé spécifiquement pour le SFP. C'est un chirurgien américain qui a conceptualisé le développement de cette pathologie d’un point de vue tissulaire : il part du principe que si un sujet a développé une pathologie musculo-squelettique, c'est parce qu’il était allé au-delà des capacités d’homéostasie de ses tissus.
Si les contraintes subies par l’articulation fémoro-patellaire sont adéquates, il y a une homéostasie tissulaire, un équilibre entre anabolisme et catabolisme, il n’y a pas d’hypoxie tissulaire. Si le sujet a fait « trop et trop vite » alors il risque d’avoir dépassé sa zone d’homéostasie, ses tissus se situent donc dans une zone supra-physiologique de surcharge.
Le modèle de Cook et Purdam (2009) s’est, entre autres, inspiré de ce modèle. Dans cette zone de surcharge, qui n’est donc plus une zone d’homéostasie, il y a une hypoxie tissulaire et certaines substances, source de douleur, vont être libérées.
Le lien entre la charge et la fréquence est important dans ce modèle : si vous avez une très grande charge exercée à une faible fréquence, il se peut que vous ne dépassiez pas la limite d’homéostasie. Si maintenant une charge est plus fréquemment appliquée, dans ce cas-là, on va plus facilement dépasser la zone d’homéostasie. Donc ce modèle part du principe qu’au plus une charge est appliquée fréquemment au plus on risque de dépasser la zone d’homéostasie.
C’est une partie qui est un peu critiquée tout de même car ce n’est pas toujours vrai : un tissu s’adapte parfois mieux lorsqu’une même charge est appliquée plus régulièrement qu’une charge appliquée une seule fois par semaine par exemple. Mais dans tous les cas il faut se dire que le patient qui viendra vous consulter aura dépassé sa zone d’homéostasie.
Un bon exemple qui relie très bien le modèle de Dye et le modèle biomécanique, est celui de la jeune femme qui va présenter une série de modifications biomécaniques lors de l’adolescence, qui vont faire qu’elle va développer toutes les caractéristiques d’une femme : un bassin plus large, des hanches développées, le développement de la poitrine… En somme, tous les éléments propres au développement de la maturation sexuelle. On peut alors imaginer que si tous ces éléments se modifient en peu de temps, cela va avoir un impact sur la biomécanique du membre inférieur, par exemple un bras de levier plus important, un centre de gravité modifié, une modification de la cinématique de mouvement, une modification de la manière de se réceptionner après un saut lors d’activités assez contraignantes, des modifications musculaires… La jeune femme peut alors dépasser plus facilement sa zone d’homéostasie tissulaire et développer davantage de pathologies lors de l’adolescence (LCA, SFP).
Il est donc intéressant d’utiliser ce modèle avec les patients pour identifier, lors de l’anamnèse et du bilan clinique, les activités qui posent problème et celles qui justement se trouvent dans l’enveloppe physiologique. Le thérapeute va donc travailler sur les activités qui posent des difficultés de manière à augmenter l’enveloppe de fonction. Pour que le corps s'adapte, le stress appliqué ne doit pas être plus important que sa capacité d'adaptation : il faut quantifier le stress mécanique pour prévenir les risques de blessure.
3 - modifications structurelles des tissus
3.1 Modifications en aiguë
Chez les patients coureurs souffrant de douleurs fémoro-patellaires, l’équipe de Christopher Powers (Ho et al. 2014) a observé une modification du contenu en eau au niveau de la patella. La partie postérieure de la patella était plus richement pourvue en eau suite à un mouvement liquidien au niveau de cette structure osseuse comparé aux sujets non-douloureux.
La même équipe a évalué des coureurs avant la course, juste après la course, et quelques heures après la course. Ils ont constaté que le contenu en eau augmentait après la course. Donc le fait d’avoir sollicité le genou de manière excessive chez les sujets douloureux entraînait une augmentation du contenu en eau juste après la course. Cette augmentation du contenu était corrélée aux symptômes qui étaient augmentés.
Comment peut-on expliquer que les patients ressentent davantage de symptômes ?
L’augmentation du contenu en eau dans un tissu qui est relativement peu déformable peut créer une augmentation de la pression intra-osseuse, stimuler certaines fibres nociceptives et créer de la douleur par cette augmentation de la pression locale.
On peut également se demander quel est l’intérêt pour l’organisme d’augmenter le contenu en eau au niveau de cette patella ? Une des raisons est d’augmenter la pression intra-osseuse de manière à ce que l’individu soit informé de la présence d’une surcharge probablement délétère pour lui. Également, on pourrait supposer qu’il s’agit là d’une façon de favoriser un meilleur amorti au niveau de l’os.
Ces hypothèses rejoignent également ce qu’on peut observer au niveau des tendons chez des patients présentant une tendinopathie. Dans les premiers temps de la pathologie tendineuse décrient dans le continuum de Cook, on observe souvent un mouvement liquidien dans le tendon. Ce mouvement liquidien permet en quelque sorte d’enraidir le tendon de manière à augmenter sa capacité à tolérer les contraintes. De nouveau, on parle d’une réponse aiguë de l’organisme pour pouvoir supporter une contrainte excessive.
Une autre source de douleur potentielle chez le coureur se plaignant de douleurs fémoro-patellaires peut être le coussinet graisseux de Hoffa. Ce coussinet de Hoffa est un amas graisseux richement innervé, situé juste derrière le tendon patellaire. De manière indirecte, il a déjà été observé qu’en injectant chez des individus une solution saline (agents irritatifs) dans le coussinet de Hoffa, on observait des douleurs typiques des douleurs fémoro-patellaires (Dragoo et al. 2012).
On sait aussi que chez les patients qui ont subi une opération, le fait de faire infiltration au niveau de ce coussinet graisseux permet une diminution des douleurs post-opératoires et une moindre tendance à développer des douleurs de type fémoro-patellaire.
De même il est possible que l’augmentation en eau et l’augmentation de la pression peuvent stimuler certaines fibres nerveuses qui vont aller communiquer avec les fibres nerveuses du coussinet de Hoffa, créant ainsi une autre source de nociception.
Ce sont donc là 2 hypothèses qui peuvent expliquer, en aigu, pourquoi un individu se plaint de douleurs fémoro-patellaires après une course à pied excessive.
3.2 Modifications plus chroniques
Des études ont montré chez des patients présentant une certaine chronicité dans les symptômes, un épaississement du rétinaculum latéral, une néoneurovascularisation du rétinaculum (Sanchis-Alfonso et al. 2005). Par exemple, une position assise prolongée peut venir créer une légère distension au niveau du rétinaculum latéral et créer une nociception. Bien évidemment, ce n’est pas le cas chez tout le monde. Ces remaniements au niveau du rétinaculum sont des phénomènes que l’on retrouve également au niveau des tendons dans la phase dysréparative et dégénérative du continuum de Cook.
Chez des patients plus âgés qui ont des douleurs fémoro-patellaires depuis 10-15 ans par exemple, on peut objectiver des modifications de l’état cartilagineux.
Une des limites de ce modèle est qu’on retrouve très rarement ces modifications structurelles à l’IRM et de manière générale, les imageries ne seront pas toujours corrélées aux symptômes. De plus, on peut retrouver ces modifications chez des patients asymptomatiques et on peut observer des patients symptomatiques qui ne présentent pas ces modifications.
On pourrait probablement se dire que le fait d’avoir ces modifications structurelles augmentent la probabilité d’avoir mal dans le temps. Encore une fois, nous relions cette hypothèse à la tendinopathie. Nous savons, dans le cas des tendinopathies, qu’une dégénérescence tendineuse asymptomatique a plus de risques de provoquer des douleurs dans l’année qui va suivre par rapport à des sujets sains qui n’ont pas cette dégénérescence tendineuse.
4 - Autres contributeurs
Dernier modèle, celui des autres contributeurs pouvant générer un PFP. C’est un modèle qui est très intéressant pour les patients qui présentent des douleurs persistantes.
On retrouve ici tous les facteurs psychosociaux qui vont être présents chez les sujets. Une anxiété plus importante, une tendance dépressive, un catastrophisme, une peur du mouvement, des fausses croyances… Tous ces éléments-là peuvent influencer la survenue ou le maintien des douleurs fémoro-patellaires.
Il est possible qu’à long terme, la douleur provienne davantage d’un phénomène de sensibilisation centrale (De Oliveira Silva et al. 2019), c’est-à-dire d’une augmentation de la réactivité des neurones nociceptifs dans le système nerveux central aux entrées afférentes normales (Gangadharan & Kuner, 2013). Cette hypothèse pourrait expliquer le fait que les traitements conventionnels ne fonctionnent pas dans la majorité des cas chez les sujets souffrant d’un SFP. En effet, dans leur revue systématique, Saltychev et al. (2018) ont montré qu’il n’y avait pas de bénéfice du traitement conventionnel dans plus de 80% des études.
Dans une autre étude, il semblerait que 91% des patients présenteraient encore une douleur et des dysfonctionnements 4 ans après le diagnostic (Stathopulu & Baildam, 2003). Dans sa revue systématique, De Oliviera Silva et al. (2019) ont analysé le phénomène de sommation temporelle chez les sujets PFP et chez les sujets sains. Ils se sont rendus compte que chez les sujets avec un PFP, ce phénomène était disproportionné : les patients ressentiraient davantage de douleur et de manière plus intense que chez les sujets sains. Il est alors possible d’imaginer que lorsque le sujet PFP effectue un running, celui-ci va ressentir des douleurs à chaque pas, ce qui va participer à la chronicisation des symptômes.
On pourrait également retrouver une forte sensibilité au froid. Le froid pourrait être une source de nociception chez le patient présentant un phénomène de sensibilisation centrale.
Il est alors possible de penser que chez les patients ayant ces dysfonctions (sommation temporelle, sensibilisation centrale), les traitements classiques effectués en kinésithérapie ne vont pas fonctionner car les mécanismes classiques utilisés dans ces traitements sont dysfonctionnels.
Il est important de noter toutefois que la présence d’un PFP chronique n’augmente pas les risques de développer de l’arthrose du genou (Lankhorst et al. 2016). Même si ces symptômes sont encore présents 5-6 ans après, ce n’est pas spécialement lié à une détérioration structurelle. Dans leur étude de 2016, Rathleff et al. ont constaté que les adolescentes avec des douleurs de genou fréquentes et présentant un score de qualité de vie faible (EQ-5D), avaient un haut risque d’avoir toujours des douleurs de genou après 2 ans.
Également, les patients qui présentent des symptômes bilatéraux semblent plus à risque de chronicisation des symptômes. Or il n’est pas rare que les patients souffrant d’un PFP présentent des douleurs bilatérales. Dans leur étude, Sandow et Goodfellow ont signalé que près de 50% de leur cohorte avait un PFP bilatéral.
On pourrait raisonnablement se dire qu’à force de ressentir les douleurs d’un côté, le patient compenserait de l’autre côté, ce qui créerait une surcharge et commencerait à devenir douloureux. En revanche, il est également possible qu’il s’agisse là d’une composante de sensibilisation centrale.
Le poids est également un facteur qui peut influencer la persistance des douleurs fémoro-patellaires. Ici on ne parle pas du système biomécanique et d’une surcharge de l’articulation provoquée par un surpoids, on parle plutôt des systèmes métaboliques et inflammatoires liés au surplus du tissu adipeux. Concernant la taille, le poids et le pourcentage de masse graisseuse, ces éléments ne constituent pas eux-mêmes des facteurs de risque de développer des douleurs fémoro-patellaires (Willy et al. 2019).
En 2018, Messier et son équipe ont réalisé un suivi de 2 ans chez des coureurs non blessés. Les auteurs ont récolté un grand nombre de mesures au début de l’étude : la technique de course, la force musculaire, les amplitudes articulaires, d’autres paramètres biomécaniques et également des éléments plus d’ordre psychosociaux comme l’anxiété, le stress, la dépression…Les participants devaient remplir toutes les X semaines un questionnaire concernant leur niveau de stress, d’anxiété, de mal-être etc.
Ils ont constaté que les éléments biomécaniques ne représentaient pas des facteurs prédictifs de blessures très importants. En revanche, le fait d’avoir des résultats moins bons en termes de facteurs psychosociaux augmentait le risque de blessures.
Par conséquent, en pratique clinique nous avons souvent tendance à sous-estimer l’influence des facteurs psychosociaux sur la survenue d’une blessure.
Par exemple le sommeil constitue un facteur de risque très important dans les blessures générales de l’appareil locomoteur. Dans son étude Johnston et son équipe (2020) ont montré que chez des sportifs d’endurance, le fait de dormir pendant 2 semaines moins de 7h par nuit, augmentait le risque de se blesser de 60% (Johnston et al. 2020). Par conséquent, le fait de modifier pendant quelques semaines le temps de sommeil peut avoir un impact très important. Pour vous donner un ordre de comparaison, le fait d’avoir un pied qui s’affaisse, un valgus dynamique du genou va peut-être augmenter le risque de se blesser de 5 à 10%.
Encore une fois, en kinésithérapie, nous avons tendance à nous baser sur des éléments biomécaniques comme la force, la souplesse alors que d’autres paramètres comme le sommeil créent beaucoup plus de risque de blessures.
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La douleur fémoro-patellaire (PFP) est l'une des affections du genou les plus courantes chez les adolescents actifs et les jeunes adultes (Arroll et al. 1997 ; Milgrom et al. 1991 ; Sanchis-Alfonso et al. 1999) avec un taux de prévalence de 7 à 13% (MichaelS Rathleff et al. 2013; Roush et Curtis Bay, 2012). D’après l’étude de Bolinget al., 2010, ce syndrome est davantage susceptible de se développer chez les femmes que chez les hommes.
Les symptômes sont caractérisés par des douleurs antérieures, rétro- ou péri-patellaires lors d'activités telles que s'accroupir, s'agenouiller, s'asseoir de manière prolongée, monter ou descendre des escaliers, courir et sauter (Thomee et al. 1999 ; Thomee et al. 1995). Les patients diagnostiqués avec des PFP ont tendance à présenter des limitations importantes non seulement dans leurs tâches et activités quotidiennes, mais aussi au travail et pendant le sport (Glaviano et al. 2015).
1 - Introduction à la pathologie
Lorsqu’on parle de douleurs antérieures de genou, il peut s’agir de nombreuses pathologies. Voici une liste non exhaustive de pathologies possibles. Le plus souvent, les patients se plaignant de douleurs antérieures de genou présenteront ce qu’on appelle des douleurs fémoro-patellaires. En termes de probabilité, on retrouve juste après les tendinopathies patellaires. Il existe également des pathologies un peu moins communes pouvant provoquer des douleurs antérieures de genou (bursite, Sinding-Larsen, douleurs référées, etc…), des douleurs liées à des symptômes plus généraux, etc…
a - Que sont les douleurs fémoro-patellaires ?
Actuellement, on préfère utiliser le terme de « douleur fémoro-patellaire » (Patello-Femoral Pain : PFP) plutôt que celui de "syndrome fémoro-patellaire" de manière à exclure d’autres pathologies patellaires comme par exemple les instabilités patellaires, les épisodes de luxation patellaire etc.. Ici on parle vraiment de douleur fémoro-patellaire.
Le diagnostic d’un PFP est relativement compliqué à réaliser. Ce dernier résulte la plupart du temps d’un diagnostic différentiel (Al-Hakim et al. 2012 ; Näslund et al. 2006) lorsque toutes les autres pathologies du genou ont été écartées. Cette période peut être relativement longue et il n’est pas rare que les sujets ne consultent qu’à partir du moment où les douleurs deviennent vraiment embêtantes.
Les symptômes sont caractérisés par une douleur anté-, rétro- ou péri-patellaire, aggravée lors d’activités en charge comme le squat, sauter, s’accroupir, monter et surtout descendre les escaliers, courir… (Thomee et al. 1999; Thomee et al. 1995). C'est une douleur assez vague, diffuse, souvent mal définie par le patient (Davis et al 2010).
Ces 2 éléments sont indissociables : si un patient présente des douleurs diffuses dans le genou mais qui ne sont pas augmentées par une activité qui stresse l’articulation fémoro-patellaire, on ne peut pas parler de douleurs fémoro-patellaires.
On retrouve parfois certains symptômes aspécifiques, c’est-à-dire des symptômes qui ne sont pas typiquement présents chez tout le monde. Ça peut être un gonflement, souvent subtil. De même, au début des symptômes, le patient peut rapporter des craquements ou des grincements de son genou plus fréquents, des mini-blocages ou encore une douleur à la palpation (Thomee et al. 1999 ; Thomee et al. 1995). Pour pouvoir considérer que des signes comme les grincements, les craquements etc soient des signes contributifs et associés aux douleurs fémoro-patellaires, il faut s’assurer qu’ils aient débuter en même temps que les symptômes douloureux. Un autre signe aspécifique mais souvent présent, est le signe du cinéma. Le patient présente des douleurs après 10-15 minutes de position assise prolongée par exemple (Collins et al. 2016). Parfois le patient dit qu’il ne ressent pas de douleur en position assise mais qu’il ressent tout de même le besoin d’allonger son genou. Il n’a pas vraiment mal mais adapte plutôt sa position en prévention.
b - Epidémiologie
C'est une pathologie extrêmement courante qui touche davantage les filles que les garçons : 2 femmes pour 1 homme (Boling et al. 2010). Le sexe féminin est d'ailleurs considéré, avec un niveau de preuve 2, comme un facteur de risque de développer un PFP (Willy et al. 2019). On retrouve une incidence de 9 à 15% de la population active. C’est-à-dire qu’une personne sur sept va développer au cours de sa vie des douleurs antérieures de genou. On se rend compte que ce sont surtout les jeunes entre 12 et 19 ans (Callaghan et al. 2007 ; Witvrouw et al. 2013) qui vont développer un PFP mais cette prévalence peut varier en fonction du niveau d'activité et du contexte environnemental. À titre de comparaison, de nombreuses autres pathologies au niveau du genou se développent souvent au-delà de ce jeune âge : les tendinopathies, l’arthrose, etc...
c - Pronostic
L’ennui avec le diagnostic d’un PFP, c’est qu’il est souvent associé à un pronostic peu encourageant. Pour ce qui est des tendinopathies et des pubalgies, ces pathologies ont tendance à s’améliorer d’elles-mêmes, « sans rien faire », leur évolution naturelle est positive. Concernant le PFP, ce n’est pas vraiment le cas : l’évolution naturelle et le fait d’être simplement patient ne suffit pas. Certains experts ont réalisé des études de suivi sur 5 ans, 10 ans, 15 ans et se sont aperçus qu’après 5 à 8 ans, la moitié des sujets qui avaient développé une douleur antérieure de genou présentaient toujours des douleurs (Lankhorst et al. 2016). C'est donc une pathologie qui a tendance à être récurrente et à se chroniciser malgré une rééducation. Bien entendu, il est possible que la rééducation ait été trop courte. Dans cette étude de Lankhorst et al. (2016), on parle d’une rééducation de 6 semaines maximum.
Pour comparer de nouveau avec un autre type de pathologie, si un patient se présente au cabinet avec une tendinopathie patellaire depuis 1 an, il y a de fortes chances que même sans « rien faire », ce patient ne présente plus (ou quasiment plus) de douleur 1 an plus tard. Bien entendu, si le patient répète les mêmes erreurs d’entraînement en surchargeant de nouveau son tendon, cette tendinopathie peut refaire surface.
Il a été démontré que les patients qui développent un PFP et qui ont tendance à ne pas évoluer positivement, sont ceux qui souffrent de douleurs antérieures de genou depuis un certain temps. Le fait d’avoir déjà eu des douleurs fémoro-patellaires depuis 1 an favoriserait significativement le fait d’avoir des douleurs 5-6 ans plus tard (Lankhorst et al. 2016).
On peut donc en déduire qu’il est important d’effectuer une prise en charge précoce et de longue durée pour pouvoir prévenir une chronicisation et une récurrence des douleurs fémoro-patellaires. Nous le verrons plus loin dans le module mais cette rééducation s’appuie énormément sur l’éducation des patients.
d - Quelles sont les hypothèses pour expliquer les douleurs chez les patients ?
On sait que les douleurs liées au PFP ont tendance à être sous-estimées. Face à ces douleurs qui persistent, on remarque que certains patients diminuent leur activité sportive, voire l’arrêtent totalement, ce qui a tendance à augmenter le taux de sédentarité dans la population PFP (Smith et al. 2018). Or on connaît aujourd’hui tous les effets délétères de la sédentarité sur les structures musculo-squelettiques et plus généralement sur la santé.
À ce jour, 4 grands modèles peuvent expliquer les douleurs d’un patient liées aux PFP (Lack et al. 2018). Aucun de ces modèles n’expliquera à 100% la réalité d’un patient qui sera devant nous. Cependant, il peut être intéressant de déterminer quel est le modèle prédominant chez notre patient.
1 - Modèle biomécanique
Dans un premier temps, nous allons aborder le modèle biomécanique qui pendant longtemps constituait le seul modèle sur lequel les thérapeutes se basaient pour soigner un patient. Ce modèle stipule que certaines altérations de la biomécanique des membres inférieurs entraînent un mauvais cheminement (maltracking) de la patella par rapport à la trochlée fémorale (Power et al. 2010). Ce mauvais déplacement de la patella surchargerait l’articulation fémoro-patellaire qui à son tour pourrait affecter les diverses structures fémoro-patellaires pouvant contribuer à la nociception (c.-à-d. l'os sous-chondral, le coussinet adipeux infra-patellaire, le rétinaculum et les structures ligamentaires) (Powers et al. 2017).
C'est donc une vision très biomécanique du problème et un certain nombre de patients vont bien correspondre à ce modèle. S'il reste plausible que ce modèle représente la principale voie nociceptive, chez certains individus, la complexité du système nerveux central dans lequel cette nociception périphérique est traitée, oblige le clinicien à être attentif aux caractéristiques psychosociales des individus en plus des théories biologiques et des concepts (Maclachlan, et al. 2017).
De plus, une des limites de ce modèle biomécanique est que la douleur en tant que telle va elle-même favoriser l’altération mécanique. Ce système biomécanique devrait donc également comporter des boucles / flèches de rétroaction. Une autre limite de ce modèle serait que certains patients vont présenter une biomécanique du membre inférieur tout à fait problématique, ou en tout cas "hors normes", mais ne vont cependant pas développer de syndrome fémoro-patellaire. À l’inverse, certains patients présentant des mécanismes du membre inférieur relativement normaux vont pourtant développer un PFP.
Il a été démontré récemment que les particularités anatomiques et biomécaniques du membre inférieur, comme par exemple les pieds plats ou pronateurs, les valgus du genou, et la bascule du bassin ne constituent pas des facteurs prédictifs de blessures. Au contraire, l'obsession thérapeutique à vouloir obtenir un alignement parfait et à corriger ces faux problèmes ont conduit pendant des années à une surmédicalisation et un traitement excessif de ces éléments (La clinique du coureur, 2019).
Concernant les altérations biomécaniques qui créent un mauvais cheminement de la patella, certains auteurs ont observé que lorsque certains patients effectuent des activités en charge, comme par exemple un squat, une montée d’escalier, la course à pied ou autre, le pic de contrainte sur l’articulation fémoro-patellaire se concentre sur une plus petite surface chez les patients PFP comparé aux sujets sains (Salsich et al. 2013 ; Ward et al. 2007). Les zones de contacts sont plus latéralisées et les zones de pressions sont plus importantes chez les patients PFP (Farrokhi et al. 2011). Toutefois, un des gros biais de ces études transversales est qu’il s’agit de sujets déjà douloureux et donc une question se pose : est-ce que le maltracking est une cause ou une conséquence du PFP ? Probablement un peu des 2, mais dans tous les cas, il est certain qu’à partir du moment où le patient présente une douleur, il va modifier certains mouvements pour réduire la douleur ou du moins tenter de la contrôler.
Souvent, le développement et la persistance des symptômes du PFP sont attribués à des facteurs proximaux, distaux ou locaux qui augmentent ou modifient la charge / le stress sur l’articulation fémoro-patellaire (Powers et al. 2017). On parle des facteurs proximaux pour désigner tout ce qui est en lien avec la hanche et le tronc, des facteurs locaux pour désigner tout ce qui est en lien avec le genou, et des facteurs distaux pour ce qui est en lien avec la cheville, le pied, la jambe.
Le traitement du PFP en kinésithérapie reposerait principalement sur la régulation et la correction de ces différents facteurs pour ré-harmoniser l’équilibre biomécanique et optimiser ainsi le cheminement patellaire. Cependant on s’est rendu compte que ça ne suffisait pas pour améliorer les douleurs du patient. Par conséquent, à partir de ce constat, on ne peut pas se baser exclusivement sur ce modèle biomécanique.
La plupart de ces facteurs proximaux, locaux et distaux sont répertoriés sur ce schéma (D’après Powers et al. 2017). Ces facteurs vont soit diminuer la surface de contact fémoro-patellaire soit augmenter les forces de réaction au niveau de la région fémoro-patellaire. Tous ces facteurs-là vont influencer cette pression qui finalement va stimuler les fibres nociceptives et provoquer une douleur fémoro-patellaire. Ce modèle part donc du principe que ces déficits existent avant le développement des symptômes, ce qui pourrait potentiellement expliquer le principal facteur de surcharge et la perte de l’homéostasie tissulaire autour du PFP (Dye, 2005). Cependant, certains facteurs représentent davantage une conséquence du PFP plutôt qu’un facteur prédisposant. Ce modèle-là n’est donc pas suffisant pour tout expliquer.
1.1 - Dysfonctions du quadriceps
Prenons le 1er facteur. Le quadriceps a été énormément étudié en ce qui concerne la force et l’activation musculaire pour savoir si cela pouvait expliquer la survenue des douleurs fémoro-patellaires. Lorsqu’on parle du quadriceps, on fera surtout référence au vaste médial. Ce vaste médial se subdivise en deux sous-chefs à savoir le vaste médial latéral et le vaste médial oblique (VMO). Le vaste médial oblique est celui qui va s’opposer au mouvement latéral de la patella. Lorsque le quadriceps se contracte, les différents chefs vont bien évidemment se contracter, ce qui va engendrer des forces principalement compressives plus ou moins importantes sur la patella. En d’autres termes, lors de sa contraction, le quadriceps va pousser la patella contre la trochlée fémorale, et cette force va s’effectuer principalement dans un plan sagittal mais également dans un plan frontal. Selon l’activité relative des vastes médiaux et latéraux, il va y avoir davantage de force vers l’intérieur (en médial) ou davantage de force vers l’extérieur (en latéral). Une activation réduite et un temps d'activation retardé du VM par rapport au VL sont associés à une augmentation de l'inclinaison et du déplacement de la patella en latéral (Pal et al. 2011 ; Pal et al. 2012).
Il se trouve que les sujets souffrant de pathologies fémoro-patellaires ont tendance à présenter typiquement une activation retardée du VM par rapport au VL (Witvrouw et al. 2000 ;Tiggelen et al. 2009). En effet, le VMO n'est pas capable de contrebalancer la traction latérale du vaste latéral (VL) et maintenir la position centrale de la patella dans la trochlée fémorale (Engelina et al. 2014 ; Jan et al.2009). De plus, on sait que la douleur fémoro-patellaire va augmenter ce déséquilibre de manière spécifique. On peut également avoir une activité musculaire du quadriceps globalement retardée ou perturbée, ce qui peut aussi poser un problème étant donné que les contraintes vont être mal réparties sur toute la piste du mouvement.
La faiblesse du quadriceps s'est avérée être un facteur de risque pour le développement d’un PFP dans les populations militaires (Lankhorst et al. 2012). L'atrophie du quadriceps est également une constatation courante chez les personnes atteintes de PFP, mais uniquement lorsqu'elle est évaluée par imagerie, et non par circonférence ou évaluation visuelle (Giles et al. 2013). Cette atrophie peut être présente soit prospectivement soit rétrospectivement, c’est-à-dire que certains sujets qui vont développer une pathologie fémoro-patellaire ont à la base une atrophie plus importante et d’autres en revanche ont développé un PFP et seulement ensuite une atrophie du quadriceps.
Pour résumer les dysfonctions du quadriceps, on va s’intéresser aux études prospectives et aux études transversales. Les études transversales sont en quelques sortes un cliché photographique à un moment donné : on prend par exemple 50 sujets qui ont un PFP, et 50 sujets sains du même âge, même type d’activité etc… et on observe s’il existe des différences entre eux. Toutefois, ces études transversales ne permettent pas de connaître les facteurs de risques associés à cette pathologie étant donné que cette dernière peut modifier elle-même certains facteurs avec le temps. En revanche, les études plutôt prospectives permettent d’étudier les facteurs de risques liés à la pathologie.
Concernant le PFP, les études prospectives s’intéressent souvent aux militaires pour découvrir les facteurs de risques associés à une pathologie (Lankhorst et al. 2012). En effet, cette population regroupe généralement des individus du même âge, des caractéristiques souvent similaires, donc facilement comparables, d’autant plus qu’ils subissent une activité sportive souvent intense. Dans son étude en 2019, Willy et al. ont établi un guide de pratique permettant aux thérapeutes d’être au courant des dernières connaissances et pratiques concernant le PFP. Ils ont par conséquent résumé les facteurs de risques de développer un PFP par niveau de preuve.
Concernant les dysfonctions du quadriceps, on retrouve avec un niveau de preuve 1 (certitude assez grande) un déficit de force d’extension du genou (Lankhorst et al. 2012 ; Willy et al. 2019). Si votre patient se fait opérer des ligaments croisés et a suivi une rééducation insuffisante, il peut garder un déficit de force isométrique du quadriceps et donc être plus à risque de développer un PFP.
A propos des informations avec un niveau de preuves 2, généralement il y a 2-3 incohérences présentes dans la littérature mais la majorité des études vont dans le même sens. Avec un niveau de preuve 2, on retrouve donc une perte de souplesse du quadriceps, un retard d’activation du muscle vaste médial oblique (VMO), une réduction de la hauteur du saut vertical, une mobilité patellaire médiale plus importante que la normale (Willy et al. 2019 ; Witvrouw et al. 2000), une atrophie musculaire du quadriceps objectivée par imagerie et non par circonférence ou évaluation visuelle (Willy et al. 2019 ; Giles et al. 2013). À noter qu’étant donné que la plupart des études prospectives se sont limitées à la population militaire, l’extrapolation de ces résultats sur la population normale doit être faite avec prudence.
Concernant maintenant les conséquences du PFP sur les dysfonctions du quadriceps, les études transversales indiquent avec un niveau de preuve 1, un déficit de force du quadriceps notamment chez l’adulte et moins chez le jeune. L’adolescent par exemple souffre moins du déficit de quadriceps que l’adulte. On retrouve également une activation déficitaire que ce soit du quadriceps globalement ou du vaste médial. C’est-à-dire qu’ici la douleur a probablement encore majorée ce déficit d’activation. De même l’atrophie musculaire est quelque chose qui a été démontré comme étant présent également après l’installation de la pathologie.
La douleur a donc un rôle extrêmement important dans la pathologie PFP : des études montrent que plus c’est douloureux, plus la fonction du quadriceps est perturbée et plus le patient va présenter un déficit majeur de la force musculaire par exemple (Nakagawa et al. 2011). Cette théorie est également vraie s‘il y a eu une évolution de la douleur, c’est à dire que si un patient avait une douleur modérée puis sévère, la force musculaire va être davantage perturbée. On retrouve ces éléments comme facteurs de risque de développer un PFP mais il semble que ces facteurs soient probablement majorés lorsque la douleur est présente.
1.2 Altération de la cinématique de hanche
Au niveau des muscles de la hanche, les facteurs proximaux : la force, l’activité musculaire, l’endurance et la puissance musculaire ont été étudiés au sein des cohortes PFP. Sur la base de 3 études prospectives de grande qualité inclues dans la revue systématique de Rathleff et al. (2014), on trouve des preuves modérées à solides qu’aucune association n’existe entre le déficit de force isométrique des abducteurs, extenseurs, rotateurs internes et externes de hanche et le risque de développer un PFP. En revanche, les résultats de plusieurs études transversales de cette même revue systématique fournissent des preuves modérées à solides que les patients atteints de PFP présentent un déficit de force isométrique de la musculature de la hanche (Rathleff et al. 2014). On peut donc en déduire que c’est bien la douleur qui amène le déficit.
Si on ne prend que les études transversales, les auteurs ne sont pas tous d’accord. Certains trouvent qu’il n’y a pas de différence entre les sujets PFP et les non PFP, d’autres oui, mais si on additionne tous les éléments et si on réunit toutes les données de toutes les études, on peut dire que globalement il existe un déficit de force isométrique chez ces sujets qui ont un PFP et plus particulièrement pour les abducteurs de hanche, les rotateurs externes et les extenseurs de hanche (Van Cant et al.2014, Van Cant et al. 2017 ; Prins et al. 2009). Lorsque la pathologie est installée, les sujets vont donc développer une perte de force principalement du moyen fessier et du grand fessier.
Si on résume, les études prospectives montrent qu‘il n'y a pas de déficit de force chez les sujets qui vont développer un PFP au niveau des muscles de la hanche. Une étude a même trouvé que des jeunes femmes étaient plus à risque de développer un PFP si elles avaient une force excessive au niveau des abducteurs de hanche (Herbst et al. 2015). Il est possible que cette force excessive soit associée à une surcharge générale.
Les études transversales ont montré, avec un niveau de preuve 1, un déficit de force isométrique des abducteurs, rotateurs externes et extenseurs de hanche chez les patients souffrant d’un PFP. On retrouve un niveau de preuve 2 concernant le retard d’activation du moyen fessier chez les coureurs avec un PFP. Concernant l’endurance des abducteurs de hanche, on retrouve un niveau de preuve 3 : les résultats ne sont pas très clairs. Certaines études n’ont pas trouvé de différence entre les patients sains et les patients PFP (McMoreland et al.,2011). Van Cant et al. (2017) ont observé un déficit d’endurance isométrique des abducteurs de hanche chez des patientes souffrant d’un PFP. A contrario, Nunes et al. (2019) n’ont trouvé aucune différence entre les sujets sains et les sujets PFP concernant l’endurance dynamique des abducteurs de hanche. Toujours avec un niveau de preuve 3, on retrouve un déficit de puissance musculaire de hanche (Nunes et al. 2019). À noter une fois encore que ces facteurs sont davantage présents chez les femmes.
Dans une étude transversale de 2021 réalisée par Van Cant et al, les auteurs ont constaté que les déficits de force et d'endurance des abducteurs de la hanche sont plus prononcés chez les personnes souffrant de douleurs plus sévères et fréquentes.
1.3 Anatomie de l'articulation fémoro-patellaire altérée
L'angle Q est présent chez tout le monde. Il n’existe pas d’angle Q de 0°. Il permet de mesurer l’alignement du genou au niveau du membre inférieur. Cet angle est déterminé par le croisement de 2 lignes fictives : la 1ère ligne part de l’EIAS (Épine Iliaque Antéro-Supérieure) jusqu’au centre de la patella et la seconde ligne part de la TTA (Tubérosité Tibiale Antérieure) jusqu’au centre de la patella. Longtemps on a cru que l’angle Q était un facteur favorisant le développement du PFP. Cependant, il a été démontré, avec un niveau de preuve 1, que les sujets présentant un grand angle Q (valgus de genou statique) ne présentaient pas davantage de risques de développer un PFP (Willy et al. 2019 ; Freedman et al. 2014). La question reste ouverte par rapport à l’angle Q dynamique, à ce moment-là, on est plutôt dans des modifications de mouvements. Dans certaines situations, l’angle Q dynamique peut augmenter le risque de développer un PFP étant donné qu’il peut provoquer des mouvements inhabituels qui peuvent être moins supporter par le sujet.
Il est donc pertinent de retenir que la contraction du quadriceps favorise le déplacement latéral de la patella, d’où l’importance d’avoir un vaste médial bien activé.
Si un patient, pour une raison ou pour une autre présente une douleur au niveau du genou mais qui n’a rien à voir avec un PFP, cette douleur peut provoquer une atrophie musculaire du quadriceps pouvant entraîner à son tour une moindre activation du vaste médial. Dans ce dernier cas, le patient peut avoir une modification des contraintes sur un temps bref provoquant une contrainte excessive et donc une douleur. En revanche, si celle-ci est présente depuis toujours, à priori on peut supposer que le patient s’y est habitué et que ça ne va pas poser de problème.
Quels autres éléments sont éventuellement concernés ?
Une anatomie anormale au niveau de la patella et de la trochlée fémorale. Généralement, on retrouve un angle plus grand en latéral au niveau de la gorge de la trochlée fémorale car les contraintes liées à la contraction du quadriceps favorisent plutôt un cheminement latéral de la patella, c’est physiologique. Parfois, l'angle Q fait que, lorsque le quadriceps se contracte, on observe un mouvement patellaire latéral encore plus important.
De plus, certains sujets ont une trochlée fémorale moins profonde, ce qui va évidemment poser problème étant donné que les contraintes vont être réparties sur une plus petite surface. Cette caractéristique est reconnue comme étant un facteur favorisant du PFP.
On retrouve également la patella alta, qui se caractérise par une position haute de la patella. Une des conséquences de la patella alta est une moindre stabilité osseuse étant donné que la patella s’articule avec des parties peu profondes de la trochlée fémorale (Insal et al. 1971 ; Insal et al. 1972 ; Kannus et al.1992). L’inclinaison et le déplacement latéral de la patella sont plus fréquents chez les personnes atteintes de patella alta que chez les personnes ayant une hauteur patellaire normale (Ward et al. 2007 ; Pal et al. 2013). Cette patella alta est considérée comme un contributeur important du développement d’un PFP, néanmoins le kinésithérapeute n’a que peu d’action dessus.
A présent, nous allons nous intéresser à quelques facteurs distaux.
Avec un niveau de preuve 2, on remarque qu’une augmentation de l’éversion de l’arrière pied (pied pronateur) lors de la marche va entraîner une rotation interne du tibia et du fémur ainsi qu’une adduction de la hanche pouvant provoquer une surcharge sur l’articulation fémoro-patellaire.
Également avec un niveau de preuve 2 on retrouve :
- Une absence d’association entre l’indice de hauteur de l’arche du pied et le développement d’un PFP (Lankhorst et al. 2013).
- Une absence d’association entre l’alignement du pied (pieds creux ou pieds plats) et le développement d’un PFP (Willy et al. 2019 ; Waryasz et al. 2008).
- La présence d’une association entre la chute du naviculaire et le développement d’un PFP.
Avec un niveau de preuve 3 on retrouve un déficit de mobilité du pied.
En résumé, voici les principaux facteurs de risques et conséquences des douloureux fémoro-patellaires :
1.4 Modèle biomécanique et course à pied
Il n’est pas rare qu’un patient nous dise : « on m’a dit que j’avais une mauvaise technique de course », « j’ai mal aux genoux parce que je pense que je ne cours pas bien ». Qu’en est-il concrètement ? Est-ce que notre patient qui court avec une technique particulière, par exemple avec un valgus du genou très prononcé, avec un impact au sol très important pourrait être plus à risque de développer des symptômes PFP ? La réponse semble plutôt négative (Ceyssens et al. 2019). Dans la littérature, on ne trouve pas réellement une technique de course plus à risque de développer des blessures de manière générale. La revue systématique de Ceyssens et son équipe (2019) a particulièrement fait parler étant donné qu’elle coupait court à certaines croyances selon lesquelles des techniques de courses étaient plus susceptibles d’amener des blessures. Les auteurs ont montré qu’on pouvait certes retrouver quelques études indiquant que certains éléments de la course à pied pouvaient prédisposer à une blessure, mais il s’agissait généralement d’études avec peu de sujets et lorsqu’on regardait l’ensemble des études, on ne pouvait conclure qu’une technique de course puisse réellement être à risque de blessures.
Si on se penche tout de même sur les études qui ont rapporté une association entre la technique de course à pied et les douleurs fémoro-patellaires, citons l’étude de Noehren et al. 2013. Les auteurs ont montré que les sujets qui avaient un valgus du genou plus important allaient par la suite être davantage susceptibles de développer un PFP. Scientifiquement il y a donc une différence significative entre le groupe qui allait développer un PFP et le groupe contrôle.
Maintenant si nous parlons de la clinique, si nous recevons notre patient demain au cabinet, il est quasiment impossible de détecter que l’angle de hanche chez notre patient est un facteur de risque de PFP. Nous pouvons effectivement voir sur la diapositive ci-dessous que les valeurs de l’angulation en adduction de hanche pour le groupe contrôle est de 8,1 ± 4,5, ce qui veut dire que certains sujets contrôles de l’étude de Noehren et al. (2013) avaient une angulation semblable (environ 12°) au groupe qui a développer un PFP. Ces 4° (de 12 à 8) sont donc impossible à mesurer avec les instruments cliniques que nous possédons généralement au sein de notre cabinet.
Par conséquent, sur base de la revue systématique de Ceyssens et al. 2019 et du fait que certains éléments potentiellement à risque soient impossibles à détecter en clinique, il est préférable de ne pas trop s’attarder sur ces éléments. Nous verrons dans la partie traitement que la modification de ces éléments (ex : angulation de hanche) lors de la course à pied n'est pas du tout une intervention prioritaire.
Un point important toutefois à signaler est que bien qu’on ne puisse incriminer une technique de course à une réelle cause de PFP, de nombreuses études ont montré que les douleurs pouvaient être susceptibles de modifier la manière dont se déplace le coureur. Cela semble assez logique : si vous avez des douleurs de genoux, quelles vont être vos modifications de techniques de course probables ? Vous allez probablement moins fléchir le genou lors du contact du pied au sol, vous allez probablement davantage fléchir la hanche, davantage vous pencher en avant. Ce sont là, des astuces que nous allons utiliser spontanément pour diminuer les contraintes au niveau du genou.
Le fait de modifier cette flexion de genou et cette flexion de hanche va également modifier l’activation des muscles fessiers. L’allongement des muscles postérieurs qui va en découler va provoquer un allongement potentiel des récepteurs nerveux présents au niveau de ces muscles. Ces récepteurs vont alors modifier la fréquence de décharge aboutissant ainsi à un risque d’affaiblissement musculaire. Cet affaiblissement des muscles fessiers vont eux même entraîner une altération du contrôle des membres inférieurs et donc augmenter ce valgus du genou. Il s’agit donc d’une adaptation du corps qui est productive à court terme étant donné que le patient va moins charger son genou en flexion mais il va augmenter tout de même les contraintes via un moins bon contrôle des membres inférieurs.
Bien évidemment, tout ceci reste des hypothèses mais ce sont celles qui sont les plus communément admises.
2 - Modèle de l’homéostasie tissulaire de Dye (1999)
Le modèle de l’homéostasie tissulaire de Dye (1999) est le modèle qui explique probablement le plus de situations, mais ce n’est pas pour autant qu’il est dominant. Le modèle de Dye a été développé spécifiquement pour le SFP. C'est un chirurgien américain qui a conceptualisé le développement de cette pathologie d’un point de vue tissulaire : il part du principe que si un sujet a développé une pathologie musculo-squelettique, c'est parce qu’il était allé au-delà des capacités d’homéostasie de ses tissus.
Si les contraintes subies par l’articulation fémoro-patellaire sont adéquates, il y a une homéostasie tissulaire, un équilibre entre anabolisme et catabolisme, il n’y a pas d’hypoxie tissulaire. Si le sujet a fait « trop et trop vite » alors il risque d’avoir dépassé sa zone d’homéostasie, ses tissus se situent donc dans une zone supra-physiologique de surcharge.
Le modèle de Cook et Purdam (2009) s’est, entre autres, inspiré de ce modèle. Dans cette zone de surcharge, qui n’est donc plus une zone d’homéostasie, il y a une hypoxie tissulaire et certaines substances, source de douleur, vont être libérées.
Le lien entre la charge et la fréquence est important dans ce modèle : si vous avez une très grande charge exercée à une faible fréquence, il se peut que vous ne dépassiez pas la limite d’homéostasie. Si maintenant une charge est plus fréquemment appliquée, dans ce cas-là, on va plus facilement dépasser la zone d’homéostasie. Donc ce modèle part du principe qu’au plus une charge est appliquée fréquemment au plus on risque de dépasser la zone d’homéostasie.
C’est une partie qui est un peu critiquée tout de même car ce n’est pas toujours vrai : un tissu s’adapte parfois mieux lorsqu’une même charge est appliquée plus régulièrement qu’une charge appliquée une seule fois par semaine par exemple. Mais dans tous les cas il faut se dire que le patient qui viendra vous consulter aura dépassé sa zone d’homéostasie.
Un bon exemple qui relie très bien le modèle de Dye et le modèle biomécanique, est celui de la jeune femme qui va présenter une série de modifications biomécaniques lors de l’adolescence, qui vont faire qu’elle va développer toutes les caractéristiques d’une femme : un bassin plus large, des hanches développées, le développement de la poitrine… En somme, tous les éléments propres au développement de la maturation sexuelle. On peut alors imaginer que si tous ces éléments se modifient en peu de temps, cela va avoir un impact sur la biomécanique du membre inférieur, par exemple un bras de levier plus important, un centre de gravité modifié, une modification de la cinématique de mouvement, une modification de la manière de se réceptionner après un saut lors d’activités assez contraignantes, des modifications musculaires… La jeune femme peut alors dépasser plus facilement sa zone d’homéostasie tissulaire et développer davantage de pathologies lors de l’adolescence (LCA, SFP).
Il est donc intéressant d’utiliser ce modèle avec les patients pour identifier, lors de l’anamnèse et du bilan clinique, les activités qui posent problème et celles qui justement se trouvent dans l’enveloppe physiologique. Le thérapeute va donc travailler sur les activités qui posent des difficultés de manière à augmenter l’enveloppe de fonction. Pour que le corps s'adapte, le stress appliqué ne doit pas être plus important que sa capacité d'adaptation : il faut quantifier le stress mécanique pour prévenir les risques de blessure.
3 - modifications structurelles des tissus
3.1 Modifications en aiguë
Chez les patients coureurs souffrant de douleurs fémoro-patellaires, l’équipe de Christopher Powers (Ho et al. 2014) a observé une modification du contenu en eau au niveau de la patella. La partie postérieure de la patella était plus richement pourvue en eau suite à un mouvement liquidien au niveau de cette structure osseuse comparé aux sujets non-douloureux.
La même équipe a évalué des coureurs avant la course, juste après la course, et quelques heures après la course. Ils ont constaté que le contenu en eau augmentait après la course. Donc le fait d’avoir sollicité le genou de manière excessive chez les sujets douloureux entraînait une augmentation du contenu en eau juste après la course. Cette augmentation du contenu était corrélée aux symptômes qui étaient augmentés.
Comment peut-on expliquer que les patients ressentent davantage de symptômes ?
L’augmentation du contenu en eau dans un tissu qui est relativement peu déformable peut créer une augmentation de la pression intra-osseuse, stimuler certaines fibres nociceptives et créer de la douleur par cette augmentation de la pression locale.
On peut également se demander quel est l’intérêt pour l’organisme d’augmenter le contenu en eau au niveau de cette patella ? Une des raisons est d’augmenter la pression intra-osseuse de manière à ce que l’individu soit informé de la présence d’une surcharge probablement délétère pour lui. Également, on pourrait supposer qu’il s’agit là d’une façon de favoriser un meilleur amorti au niveau de l’os.
Ces hypothèses rejoignent également ce qu’on peut observer au niveau des tendons chez des patients présentant une tendinopathie. Dans les premiers temps de la pathologie tendineuse décrient dans le continuum de Cook, on observe souvent un mouvement liquidien dans le tendon. Ce mouvement liquidien permet en quelque sorte d’enraidir le tendon de manière à augmenter sa capacité à tolérer les contraintes. De nouveau, on parle d’une réponse aiguë de l’organisme pour pouvoir supporter une contrainte excessive.
Une autre source de douleur potentielle chez le coureur se plaignant de douleurs fémoro-patellaires peut être le coussinet graisseux de Hoffa. Ce coussinet de Hoffa est un amas graisseux richement innervé, situé juste derrière le tendon patellaire. De manière indirecte, il a déjà été observé qu’en injectant chez des individus une solution saline (agents irritatifs) dans le coussinet de Hoffa, on observait des douleurs typiques des douleurs fémoro-patellaires (Dragoo et al. 2012).
On sait aussi que chez les patients qui ont subi une opération, le fait de faire infiltration au niveau de ce coussinet graisseux permet une diminution des douleurs post-opératoires et une moindre tendance à développer des douleurs de type fémoro-patellaire.
De même il est possible que l’augmentation en eau et l’augmentation de la pression peuvent stimuler certaines fibres nerveuses qui vont aller communiquer avec les fibres nerveuses du coussinet de Hoffa, créant ainsi une autre source de nociception.
Ce sont donc là 2 hypothèses qui peuvent expliquer, en aigu, pourquoi un individu se plaint de douleurs fémoro-patellaires après une course à pied excessive.
3.2 Modifications plus chroniques
Des études ont montré chez des patients présentant une certaine chronicité dans les symptômes, un épaississement du rétinaculum latéral, une néoneurovascularisation du rétinaculum (Sanchis-Alfonso et al. 2005). Par exemple, une position assise prolongée peut venir créer une légère distension au niveau du rétinaculum latéral et créer une nociception. Bien évidemment, ce n’est pas le cas chez tout le monde. Ces remaniements au niveau du rétinaculum sont des phénomènes que l’on retrouve également au niveau des tendons dans la phase dysréparative et dégénérative du continuum de Cook.
Chez des patients plus âgés qui ont des douleurs fémoro-patellaires depuis 10-15 ans par exemple, on peut objectiver des modifications de l’état cartilagineux.
Une des limites de ce modèle est qu’on retrouve très rarement ces modifications structurelles à l’IRM et de manière générale, les imageries ne seront pas toujours corrélées aux symptômes. De plus, on peut retrouver ces modifications chez des patients asymptomatiques et on peut observer des patients symptomatiques qui ne présentent pas ces modifications.
On pourrait probablement se dire que le fait d’avoir ces modifications structurelles augmentent la probabilité d’avoir mal dans le temps. Encore une fois, nous relions cette hypothèse à la tendinopathie. Nous savons, dans le cas des tendinopathies, qu’une dégénérescence tendineuse asymptomatique a plus de risques de provoquer des douleurs dans l’année qui va suivre par rapport à des sujets sains qui n’ont pas cette dégénérescence tendineuse.
4 - Autres contributeurs
Dernier modèle, celui des autres contributeurs pouvant générer un PFP. C’est un modèle qui est très intéressant pour les patients qui présentent des douleurs persistantes.
On retrouve ici tous les facteurs psychosociaux qui vont être présents chez les sujets. Une anxiété plus importante, une tendance dépressive, un catastrophisme, une peur du mouvement, des fausses croyances… Tous ces éléments-là peuvent influencer la survenue ou le maintien des douleurs fémoro-patellaires.
Il est possible qu’à long terme, la douleur provienne davantage d’un phénomène de sensibilisation centrale (De Oliveira Silva et al. 2019), c’est-à-dire d’une augmentation de la réactivité des neurones nociceptifs dans le système nerveux central aux entrées afférentes normales (Gangadharan & Kuner, 2013). Cette hypothèse pourrait expliquer le fait que les traitements conventionnels ne fonctionnent pas dans la majorité des cas chez les sujets souffrant d’un SFP. En effet, dans leur revue systématique, Saltychev et al. (2018) ont montré qu’il n’y avait pas de bénéfice du traitement conventionnel dans plus de 80% des études.
Dans une autre étude, il semblerait que 91% des patients présenteraient encore une douleur et des dysfonctionnements 4 ans après le diagnostic (Stathopulu & Baildam, 2003). Dans sa revue systématique, De Oliviera Silva et al. (2019) ont analysé le phénomène de sommation temporelle chez les sujets PFP et chez les sujets sains. Ils se sont rendus compte que chez les sujets avec un PFP, ce phénomène était disproportionné : les patients ressentiraient davantage de douleur et de manière plus intense que chez les sujets sains. Il est alors possible d’imaginer que lorsque le sujet PFP effectue un running, celui-ci va ressentir des douleurs à chaque pas, ce qui va participer à la chronicisation des symptômes.
On pourrait également retrouver une forte sensibilité au froid. Le froid pourrait être une source de nociception chez le patient présentant un phénomène de sensibilisation centrale.
Il est alors possible de penser que chez les patients ayant ces dysfonctions (sommation temporelle, sensibilisation centrale), les traitements classiques effectués en kinésithérapie ne vont pas fonctionner car les mécanismes classiques utilisés dans ces traitements sont dysfonctionnels.
Il est important de noter toutefois que la présence d’un PFP chronique n’augmente pas les risques de développer de l’arthrose du genou (Lankhorst et al. 2016). Même si ces symptômes sont encore présents 5-6 ans après, ce n’est pas spécialement lié à une détérioration structurelle. Dans leur étude de 2016, Rathleff et al. ont constaté que les adolescentes avec des douleurs de genou fréquentes et présentant un score de qualité de vie faible (EQ-5D), avaient un haut risque d’avoir toujours des douleurs de genou après 2 ans.
Également, les patients qui présentent des symptômes bilatéraux semblent plus à risque de chronicisation des symptômes. Or il n’est pas rare que les patients souffrant d’un PFP présentent des douleurs bilatérales. Dans leur étude, Sandow et Goodfellow ont signalé que près de 50% de leur cohorte avait un PFP bilatéral.
On pourrait raisonnablement se dire qu’à force de ressentir les douleurs d’un côté, le patient compenserait de l’autre côté, ce qui créerait une surcharge et commencerait à devenir douloureux. En revanche, il est également possible qu’il s’agisse là d’une composante de sensibilisation centrale.
Le poids est également un facteur qui peut influencer la persistance des douleurs fémoro-patellaires. Ici on ne parle pas du système biomécanique et d’une surcharge de l’articulation provoquée par un surpoids, on parle plutôt des systèmes métaboliques et inflammatoires liés au surplus du tissu adipeux. Concernant la taille, le poids et le pourcentage de masse graisseuse, ces éléments ne constituent pas eux-mêmes des facteurs de risque de développer des douleurs fémoro-patellaires (Willy et al. 2019).
En 2018, Messier et son équipe ont réalisé un suivi de 2 ans chez des coureurs non blessés. Les auteurs ont récolté un grand nombre de mesures au début de l’étude : la technique de course, la force musculaire, les amplitudes articulaires, d’autres paramètres biomécaniques et également des éléments plus d’ordre psychosociaux comme l’anxiété, le stress, la dépression…Les participants devaient remplir toutes les X semaines un questionnaire concernant leur niveau de stress, d’anxiété, de mal-être etc.
Ils ont constaté que les éléments biomécaniques ne représentaient pas des facteurs prédictifs de blessures très importants. En revanche, le fait d’avoir des résultats moins bons en termes de facteurs psychosociaux augmentait le risque de blessures.
Par conséquent, en pratique clinique nous avons souvent tendance à sous-estimer l’influence des facteurs psychosociaux sur la survenue d’une blessure.
Par exemple le sommeil constitue un facteur de risque très important dans les blessures générales de l’appareil locomoteur. Dans son étude Johnston et son équipe (2020) ont montré que chez des sportifs d’endurance, le fait de dormir pendant 2 semaines moins de 7h par nuit, augmentait le risque de se blesser de 60% (Johnston et al. 2020). Par conséquent, le fait de modifier pendant quelques semaines le temps de sommeil peut avoir un impact très important. Pour vous donner un ordre de comparaison, le fait d’avoir un pied qui s’affaisse, un valgus dynamique du genou va peut-être augmenter le risque de se blesser de 5 à 10%.
Encore une fois, en kinésithérapie, nous avons tendance à nous baser sur des éléments biomécaniques comme la force, la souplesse alors que d’autres paramètres comme le sommeil créent beaucoup plus de risque de blessures.
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