I -Â Introduction Ă la pathologie I) Avant-propos
Contextualisation : Bien que sa prĂ©valence soit Ă©levĂ©e, la tendinopathie proximale des ischio-jambiers est peu documentĂ©e en comparaison avec les blessures aiguĂ«s des ischio-jambiers (Les lĂ©sions des ischio-jambiers reprĂ©sentent 12 Ă 29% de toutes les blessures chez les athlĂštes, et environ 12% de celles-ci concernent lâinsertion proximale. Cette pathologie touche frĂ©quemment les populations sportives, notamment celles qui pratiquent des sports nĂ©cessitant des sprints, des sauts ou des mouvements brusques comme l'athlĂ©tisme, la course de longue distance ou les sports d'Ă©quipe. Elle affecte Ă©galement les populations non sportives (Goom et al. 2016). La gestion de cette pathologie est compliquĂ©e en raison de la persistance des symptĂŽmes et de lâinsuffisance de preuves pour guider la prise en charge.
Objectifs du module : Fournir une comprĂ©hension approfondie de la tendinopathie proximale des ischios jambiers, depuis son origine jusquâĂ sa prise en charge, en passant par sa prĂ©vention
II) Rappels Anatomiques
Présentation et fonction générale du complexe des muscles ischios-jambiers
Le groupe musculaire des ischio-jambiers est composĂ© de trois muscles : le biceps fĂ©moral, le semi-tendineux et le semi-membraneux. Ces muscles ont la particularitĂ© dâavoir une origine commune qui est localisĂ©e sur la tubĂ©rositĂ© ischiatique de lâos coxal. Cependant, ils possĂšdent chacun des caractĂ©ristiques architecturales et des schĂ©mas d'innervation distincts, ce qui les rend uniques dans leur fonctionnemen (Woodley et al. 2005). Leur traitement comme une unitĂ© musculaire unique peut donc conduire Ă des comptes rendus inexacts de leur fonction.
De part ses insertions, le groupe musculaire des ischios-jambiers est polyarticulaire et agit principalement en tant que muscle extenseur au niveau de lâarticulation de la hanche, flĂ©chisseur au niveau de lâarticulation du genou et rĂ©troverseur au niveau du bassin. Chaque muscle possĂšde Ă©galement une fonction supplĂ©mentaire individuelle. Le complexe des muscles ischios-jambiers agit Ă©galement en tant quâagoniste principal du ligament croisĂ© antĂ©rieur ce qui confĂšre une protection active Ă ce ligament. Bien quâil existe de nombreuses variations anatomiques, une Ă©tude plus approfondie de lâanatomie de ce complexe musculaire est essentielle afin dâaider les cliniciens Ă poser un diagnostic plus prĂ©cis et proposer un traitement adaptĂ© des pathologies concernĂ©es (StÄpieĆ et al. 2019).
Anatomie macroscopique (Van Der Made et al. 2015)
Le muscle biceps fémoral
Le biceps fĂ©moral forme le galbe postĂ©ro-latĂ©ral de la cuisse. Il est formĂ© de deux chefs : un chef long et un chef court. Le tendon libre proximal du chef long, qui reprĂ©sente 11% de la longueur totale du muscle, a une insertion proximale partagĂ©e avec le tendon libre du muscle semi-tendineux via un tendon commun. Ce dernier se fixe sur la partie postĂ©ro-mĂ©diale de la tubĂ©rositĂ© ischiatique de lâos coxal. Le tendon du long biceps Ă©merge latĂ©ralement au muscle semi-tendineux pour donner naissance Ă un corps musculaire dâaspect fusiforme. Pour sa part, le chef court trouve son origine sur la ligne Ăąpre, situĂ©e sur la face postĂ©rieure de la diaphyse du fĂ©mur. La description dĂ©taillĂ©e de la jonction entre les deux chefs est peu dĂ©crite dans la littĂ©rature. Les deux chefs se rejoignent pour former un tendon libre qui va sâinsĂ©rer principalement sur la face latĂ©rale de la tĂȘte de la fibula, et prĂ©sente des variantes anatomiques avec des expansions au condyle latĂ©ral du fĂ©mur, au tendon du poplitĂ© et au ligament poplitĂ© arquĂ©.
Le biceps fémoral contribue à la rotation latérale du genou lorsque le genou est fléchi.
Semi-Tendineux
Le tendon libre du muscle semi-tendineux est plus court que celui du biceps fĂ©moral et reprĂ©sente 0,4% de la longueur totale du muscle. Ainsi, le corps musculaire, dâaspect fusiforme, Ă©merge plus proximalement que celui du biceps fĂ©moral. Ce corps musculaire est divisĂ© en deux parties distinctes par un rachĂ© tendineux qui reprĂ©sente 20% de la longueur totale du muscle et qui est responsable de la forme digastrique du muscle semi-tendineux. Le tendon libre distal vient sâinsĂ©rer sur la zone anatomique de la patte dâoie du tibia. Il participe Ă la rotation mĂ©diale du tibia sur le fĂ©mur lorsque le genou est flĂ©chi.
Semi-Membraneux Â
Le muscle semi-membraneux possĂšde le tendon libre proximal le plus long des trois muscles ischios-jambiers (24%). Ce tendon est distinct du tendon commun des deux autres muscles et prend naissance sur la partie antĂ©ro latĂ©rale de la tubĂ©rositĂ© ischiatique. Il est sĂ©parĂ© dâune distance de 2,7+-1,0cm, selon les auteurs, du tendon commun entre le biceps fĂ©moral et le semi-tendineux. C'est le plus mĂ©dial des trois muscles ischio-jambiers. Ce muscle a la plus grande longueur de tendon proximal et de jonction musculo-tendineuse parmi les muscles ischio-jambiers, avec la plus grande surface d'interface muscle-tendon (Storey et al. 2016). Le semi-membraneux possĂšde une architecture hĂ©mi-pennĂ©e et une longueur de fibre plus petite par rapport Ă la longueur totale du muscle que les autres muscles ischio-jambiers (Kumazaki et al. 2012). Son tendon distal se divise en plusieurs branches distales qui comprennent : un bras direct, un bras antĂ©rieur, une extension du ligament oblique postĂ©rieur, une extension du ligament poplitĂ© oblique, une expansion tibiale distale, et un bras mĂ©niscal (Afonso et al. 2021). Comme le semi-tendineux, il contribue Ă la rotation mĂ©diale du tibia.
PrĂ©cisions concernant lâinsertion proximale du complexe des muscles ischios-jambiers (Van Der Made et al. 2015)Â
En 2013, lâĂ©quipe de recherche de Van der Made a Ă©tudiĂ© lâanatomie du complexe musculaire des ischios jambiers sur vingt-neuf cadavres dont lâĂąge mĂ©dian est de 71,5ans (45-98 ans). Le tendon commun aux muscles long biceps fĂ©moral et semi-tendineux sâĂ©tend en moyenne sur une longueur de 9,1cm avant de se sĂ©parer en deux tendons distincts. Ce tendon commun, dont l'empreinte mesure approximativement 2,7x1,8 cm est constituĂ© du tendon libre du long biceps fĂ©moral qui sâĂ©tend sur une longueur de 5cm, du tendon libre du semi-tendineux qui sâĂ©tend sur une longueur de 0,2cm et dâun mĂ©lange myo-aponĂ©vrotique issu de ces deux muscles.
Le tendon du muscle semi-membraneux possĂšde une empreinte qui mesure approximativement 3,1x1,1 cmÂ
Innervation (Woodley et al. 2005)
Les muscles ischio-jambiers sont innervés par le nerf sciatique, avec des branches distinctes pour chaque muscle. Le biceps fémoris est innervé par la branche fibulaire du nerf sciatique, tandis que le semi-tendineux et le semi-membraneux reçoivent leur innervation de la branche tibiale du nerf sciatique . Cette innervation joue un rÎle clé dans la coordination et la force de ces muscles .
Fonction du complexe des ischios jambiers lors du sprint (Morin et al. 2015).
Les muscles ischios jambiers contribuent fortement Ă la performance de sprint , notamment pendant la phase dâaccĂ©lĂ©ration. Ils participent au transfert de la puissance produite par lâarticulation de la hanche vers les articulations distales afin de projeter le coureur vers lâavant. LâĂ©tude de Morin et al. prĂ©cise cette information en montrant que les ischios jambiers Ă©taient les seuls muscles dont la force et lâactivitĂ© Ă©taient significativement corrĂ©lĂ©es avec la capacitĂ© Ă produire de la force horizontale, qui est la composante horizontale du vecteur force de rĂ©action au sol . Pour cela, leur niveau dâactivation va augmenter de maniĂšre exponentielle avec lâaccroissement de la vitesse de course, passant de 60 Ă 100% sur les 10 premiers pas. La vitesse modifie les exigences mĂ©caniques des ischios jambiers qui voient leurs niveaux de force ĂȘtre multipliĂ©s par 2 lorsque le coureur passe de 80 Ă 100% de sa vitesse maximale, ce qui correspond Ă la fenĂȘtre de survenue de la majoritĂ© des blessures liĂ©es au sprint. Les recherches scientifiques actuelles n'ont pas encore Ă©tabli prĂ©cisĂ©ment quelles sont les contraintes subies par les muscles ischio-jambiers lors des courses de haies. Cependant, il est raisonnable de penser que le cycle rĂ©pĂ©tĂ© d'atteindre une flexion de hanche Ă son maximum tout en Ă©tendant complĂštement le genou Ă chaque franchissement de haie expose l'insertion proximale des ischio-jambiers Ă des niveaux extrĂȘmes de tension.
III) DĂ©finition et Contexte Pathologique
La tendinopathie proximale des ischio-jambiers est une condition dĂ©gĂ©nĂ©rative et chronique affectant un ou plusieurs tendons Ă leur zone dâinsertion proximal. Cette affection se caractĂ©rise par un dĂ©clin progressif de la fonctionnalitĂ©, avec une douleur situĂ©e dans la zone ischiatique qui peut irradier le long de la cuisse. Les mouvements comme l'accroupissement ou le fait de rester assis tendent Ă aggraver cette douleur, qui peut Ă©galement se manifester lors de la flexion passive ou de l'extension active de la hanche, ainsi qu'au cours de pĂ©riodes prolongĂ©es en position assise. Selon, l'intensitĂ© de la douleur peut augmenter lors d'efforts physiques tels que les sprints, ou en maintenant une position assise pour de longues durĂ©es. L'aggravation progressive de la douleur peut finalement restreindre la capacitĂ© Ă pratiquer une activitĂ© physique ou Ă rester assis pendant longtemps, limitant ainsi la participation Ă des activitĂ©s sportives spĂ©cifiques ou Ă l'exĂ©cution de tĂąches quotidiennes.
IV) Prévalence et étiologie
Prévalence
Bien quâelle semble augmenter avec lâĂąge , la prĂ©valence de la tendinopathie proximale des ischios-jambiers nâest pas bien dĂ©terminĂ©e. Plus courante chez les athlĂštes, en particulier ceux des sports mentionnĂ©s prĂ©cĂ©demment. Les Ă©tudes montrent une prĂ©valence plus Ă©levĂ©e chez les athlĂštes de haut niveau.
Etiologie des tendinopathies proximales des ischios-jambiers
LâĂ©tiologie des tendinopathies proximales des muscles ischios-jambiers est multifactorielle, impliquant des facteurs liĂ©s Ă la charge qui peuvent ĂȘtre classĂ©s en facteurs extrinsĂšques et intrinsĂšques.
Les facteurs de risque intrinsÚques sont des éléments qui augmentent la probabilité de dégradation ou de lésions au niveau de l'origine proximale des muscles ischio-jambiers, ce qui peut compromettre leur capacité de guérison. Ces facteurs incluent des prédispositions génétiques comme la mutation du gÚne COL5A1, responsable de la production du collagÚne de type 5, des anomalies métaboliques comme la résistance à l'insuline ou un déséquilibre dans les niveaux de lipides, des variations hormonales, ou l'utilisation d'antibiotiques de la classe des fluoroquinolones. L'ùge et des antécédents de blessures aux ischio-jambiers sont également des facteurs.
Les facteurs de risques extrinsĂšques occasionnent une surcharge de contraintes mĂ©caniques sur les zones dâinsertion tendineuses ou sur le corps dâun ou plusieurs tendons. Chez les populations sportives, ces facteurs incluent une mauvaise gestion des charges dâentraĂźnement, ainsi quâune rĂ©pĂ©tition gestuelle dans des activitĂ©s qui nĂ©cessitent une contraction dâintensitĂ© quasi-maximale des muscles ischios-jambiers, alors que la hanche se trouve en position de flexion. Ainsi, une augmentation trop rapide et/ou trop intense des volumes de sprints, de passage de haies ou des exercices de renforcement musculaire tel que la fente, sont responsables de lâapplication excessive de contraintes en compression sur la zone dâinsertion des tendons concernĂ©s. La rĂ©pĂ©tition dâĂ©tirements statiques en position associant une flexion maximale de la hanche et une extension maximale du genou avec un temps de posture est Ă©galement un facteur de risque.
Chez les populations non sportives, la position assise prolongĂ©e est responsable dâune contrainte compressive directe sur le tendon pouvant favoriser le dĂ©veloppement dâune tendinopathie. On retrouvera alors une atteinte prĂ©fĂ©rentiellement bilatĂ©rale comparĂ© aux populations sportives.
V) Physiopathologie
La comprĂ©hension de la physiopathologie de la tendinopathie proximale des ischio-jambiers varie parmi les sources mĂ©dicales. Toutefois, il est largement admis que des microtraumatismes aux points d'attache des ischio-jambiers dĂ©clenchent une inflammation similaire Ă celle des tendinites du tendon rotulien et dâAchille. Des analyses histologiques ont rĂ©vĂ©lĂ© la prĂ©sence de tendinose dans certains cas, avec dĂ©veloppement dâune nĂ©ovascularisation, des modifications de la structure normale du collagĂšne, ainsi qu'une augmentation du tissu extracellulaire (Lempainen et al. 2009). Le tendon du semi-membraneux semble ĂȘtre plus sujet Ă ces altĂ©rations. On pense que cette condition est le rĂ©sultat d'un dĂ©faut dans le processus de rĂ©paration du tendon, qui Ă©choue Ă s'adapter correctement Ă des contraintes rĂ©pĂ©tĂ©es dĂ©passant sa capacitĂ© de rĂ©silience, menant ainsi Ă la dĂ©gradation de un ou plusieurs tendons. Les dommages aux tendons sont souvent la consĂ©quence d'un stress rĂ©pĂ©titif, qui provoque d'abord de petits traumatismes avant de mener Ă une dĂ©gĂ©nĂ©rescence progressive de la structure concernĂ©e.
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