Renforcement du pied en 2024 : Quelles avancées pour la kinésithérapie ?

Masterclass
Publiée le
28/4/2024
Musculo-squelettique
Kinésithérapie
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À propos

Le renforcement du pied a été très largement sous-considéré depuis des décennies en rééducation. Cette masterclass se propose de passer en revue la littérature actuelle et les fondements du « Gainage du pied 1.0 et 2.0», à savoir une vision de renforcement isolé des intrinsèques du pieds puis une vision plus globale et fonctionnelle de celui-ci.

Rappel

Dans cette présentation sur le renforcement du pied, nous aborderons les aspects essentiels des muscles du pied sans entrer dans les détails anatomiques complexes, en nous concentrant principalement sur une vue d'ensemble pratique. Nous commençons par un bref rappel des muscles intrinsèques du pied, qui sont illustrés en bas à droite de la diapositive. Ces muscles sont organisés en quatre couches distinctes, allant de la plus superficielle à la plus profonde, un concept déjà familier pour la plupart d'entre vous.

Ensuite, les muscles extrinsèques du pied, listés en haut de votre écran. Nous nous attarderons sur ces muscles plus que vous ne l'auriez peut-être anticipé, en raison de leur importance cruciale dans la mécanique du pied.

En particulier, nous examinerons le muscle triceps sural, un cas très particulier parmi les muscles extrinsèques. Ce muscle, mis en évidence en rouge sur la présentation, est d'une importance capitale, notamment pour sa coordination avec les muscles intrinsèques. La compréhension de cette dynamique est fondamentale pour toute approche de renforcement du pied, car elle influence directement la stabilité et la fonctionnalité globale du pied.

Le gainage du pied 1.0

Dans cette section de la présentation, nous allons examiner le concept de "foot-core system", introduit par Patrick McKeon en 2014 dans le British Journal of Sports Medicine. Ce modèle innovant aborde le gainage du pied en intégrant trois composantes principales.

Premièrement, le système passif, qui comprend les os, les arches du pied et les ligaments, fournit un support structurel fondamental et maintient l'intégrité anatomique du pied. Cela constitue la base de la stabilité du pied.

Deuxièmement, nous avons le sous-système actif qui se compose des muscles intrinsèques du pied, ceux que nous avons précédemment identifiés, ainsi que des muscles extrinsèques. Ces groupes musculaires, déjà reconnus dans les travaux antérieurs, sont essentiels pour le mouvement actif et la stabilisation du pied.

Le troisième élément crucial de ce système est le système neurologique, qui agit comme le chef d'orchestre de l'ensemble. Ce système inclut les récepteurs actifs des muscles intrinsèques et les récepteurs cutanés plantaires. Ceux-ci jouent un rôle dans la boucle sensorimotrice, influençant directement la manière dont les muscles du pied réagissent aux stimuli sensoriels et contribuent à la coordination globale du mouvement.

Ainsi, le modèle du foot-core system met en évidence l'importance d'une approche holistique dans le renforcement du pied, reconnaissant le rôle intégré des systèmes passif, actif, et neurologique. Cette perspective intégrative est cruciale pour élaborer des stratégies efficaces de renforcement du pied, favorisant une meilleure fonctionnalité et prévention des blessures.


Stratégie pour un bon gainage du pied

Pour un renforcement efficace du pied, la stratégie que Patrick McKeon et moi avons élaborée dès 2015 a évolué jusqu'aux années 2020 et au-delà. Elle commence par des exercices basés sur une activation volontaire et ciblée des muscles intrinsèques du pied. Nous approfondirons ce point plus tard.

La deuxième phase de notre stratégie consiste à incorporer l'électrostimulation pour renforcer ces mêmes muscles. Enfin, la troisième phase vise l'intégration de différentes méthodes : combiner l'électrostimulation avec des mouvements actifs, appliquer des gammes athlétiques sous stimulation électrique, et associer des exercices de recrutement des muscles intrinsèques à des exercices sollicitant les muscles extrinsèques. Cette approche holistique représente la partie la plus fonctionnelle de notre stratégie de renforcement du pied.

Gainage du pied isolé en actif volontaire

Au cœur de notre stratégie, les exercices d'activation volontaire jouent un rôle primordial. Parmi eux, l'exercice du "short foot", peu traduit en français et souvent désigné par son terme anglais, se distingue particulièrement. Cet exercice vise à isoler et travailler spécifiquement les muscles intrinsèques du pied. Comme le montre la vidéo, lors de la réalisation du "short foot", l'effort est principalement concentré sur ces muscles, en ciblant surtout la première phalange. Ce focus permet un recrutement efficace et ciblé des muscles intrinsèques, contrastant avec des exercices comme celui des "griffes des orteils".

Dans le cas de l'exercice de la griffe des orteils, les muscles extrinsèques sont principalement sollicités. Bien que cet exercice puisse être réalisé en utilisant des accessoires comme une serviette, il est considéré comme relativement obsolète. En effet, si l'objectif est de stimuler les muscles extrinsèques, il existe désormais des méthodes plus efficaces et plus exigeantes qui permettent un renforcement plus significatif de ces muscles.

Autres exercices

Il existe également d'autres exercices mentionnés dans la littérature, notamment dans un article de Gooding publié entre 2016 et 2017. Je vais vous en parler plus en détail dans les prochaines parties de cette présentation.

L'article de Gooding publié entre 2016 et 2017 examinait l'efficacité de divers exercices, autres que le short foot, pour l'activation des muscles intrinsèques du pied. Il décrivait quatre exercices spécifiques :

Le short foot, déjà discuté, situé en haut à gauche de l'image.

Le toes spread out, situé en haut à droite, qui consiste à écarter les orteils pour aider les patients à améliorer leur écartement.

En bas à gauche, un exercice demandant l'élévation du gros orteil, conçu pour stimuler, via un focus externe, les fléchisseurs intrinsèques des orteils afin de s'ancrer dans le sol.

En bas à droite, une extension des quatre autres orteils, qui cherche également, par un focus externe, à promouvoir un ancrage au sol via le court fléchisseur du gros orteil.

Ces exercices ont été initialement perçus à tort comme des moyens de renforcement. Toutefois, l'article les décrit clairement comme des exercices d'activation, comme le souligne le titre même de l'article, "Intrinsic Foot Muscles Activation". Ils servent principalement de facilitateurs, destinés à aider les patients qui ont du mal à effectuer correctement le short foot ou à activer efficacement leurs muscles du pied. Ces exercices fonctionnent comme des catalyseurs ou des réveils musculaires, mais ne sont pas destinés à renforcer les muscles de manière substantielle. Nous allons voir dans une prochaine diapositive comment intégrer ces exercices dans notre stratégie globale, où ils occupent une place de soutien, plutôt que de renforcement principal.

Ces autres exercices, que vous pouvez observer en vidéo, ont démontré une bonne capacité à activer l'ensemble des muscles du pied. Il est toutefois évident que le short foot est supérieur en termes d'efficacité. L'exercice du spread out est également assez efficace, mais les deux derniers exercices, plus modestes, sont vraiment des exercices d'activation. Ils jouent un rôle crucial en aidant les patients à prendre conscience de l'activation de leurs muscles intrinsèques, sans toutefois s'attendre à des résultats plus poussés de renforcement musculaire. Ces exercices servent davantage à sensibiliser et à éveiller les muscles plutôt qu'à les renforcer de manière significative.

Le "Doming"

Nous abordons ensuite un exercice appelé le doming, ou "le dôme", que vous pouvez actuellement observer en vidéo. Cet exercice est une variante avancée du short foot. Il commence de manière similaire, avec le pied qui se ramasse sur lui-même, comme visible sur la vidéo. Toutefois, contrairement au short foot où les têtes des métatarsiens restent en contact avec le sol, le doming élève ces têtes, ne laissant que l'avant des orteils et le talon toucher le sol.

Durant l'exécution du doming, et notamment dans la partie finale de la vidéo, vous remarquerez une avancée du tibia. Cette action est demandée aux patients afin de les inciter à charger davantage l'avant du pied, ce qui augmente la contraction de l'ensemble du complexe musculaire situé sous le pied, et même jusqu'à la chaîne postérieure basse. Ce mouvement crée un couplage fonctionnel entre les muscles intrinsèques et extrinsèques du pied. Dans le cadre de la stratégie de renforcement 1.0, le doming est sans doute l'exercice le plus puissant.

Les preuves

Il y a eu des revues de la littérature récemment qui ont apporté des éclaircissements intéressants sur l'entraînement des muscles intrinsèques du pied, même lorsqu'ils sont travaillés de manière isolée. Je vous partage notamment les résultats d'une revue réalisée par Wei en 2022. Comme vous pouvez le voir sur les deux dernières lignes de cette diapositive, bien que les interventions soient quelque peu incohérentes et que les protocoles varient considérablement, cette revue met en évidence des effets bénéfiques notables sur l'arche médiale du pied et sur l'équilibre postural, évalué notamment par le test de Y-balance.

Cependant, il est important de noter que malgré ces avantages, on observe rarement de véritables effets sur la force, la prise de masse ou l'hypertrophie à travers les exercices que nous avons décrits. Ces résultats soulignent l'importance de l'activation et de la coordination musculaire plutôt que des gains de force ou de volume musculaire.

L'ajout de l'electrostimulation

Pour améliorer l'efficacité des exercices que nous avons discutés, nous avons introduit une méthode novatrice : l'utilisation de l'électrostimulation, qui induit une contraction involontaire mais néanmoins active. Ceux parmi vous qui ont expérimenté cette technique sur eux-mêmes savent combien elle peut être efficace.

La mise en place de l'électrostimulation se fait précisément : on place une électrode postérieure sur le corps musculaire de l'abducteur du gros orteil, tandis que l'électrode antérieure se positionne sur le court fléchisseur de l'hallux. Nous utilisons des courants typiques de renforcement, ou même destinés à combattre l'amyotrophie ou pour des exercices de résistance. Le choix de ces derniers est stratégique, car le temps de repos entre les contractions est relativement court par rapport au temps de contraction. Ce que nous recherchons ici, c'est de maximiser le temps sous tension en minimisant le temps de repos.

Pour les programmes de renforcement, de force ou de force explosive, le temps de repos peut souvent sembler trop long en comparaison du temps de travail. C'est pourquoi nous préférons augmenter les intensités autant que possible sur des programmes qui limitent le temps de repos. Cette approche augmente l'efficacité de la contraction musculaire, comme vous pouvez le voir avec le raccourcissement du pied et l'élévation de l'arche visible lors de l'utilisation.

En ce qui concerne le placement des électrodes, une petite animation en haut à gauche de l'écran illustre bien le processus. Il est crucial d'éviter de placer l'électrode sur des zones osseuses, telles que le tubercule du naviculaire ou le sustentaculum tali, et de positionner l'électrode distale juste en dessous de la diaphyse du premier métatarsien pour éviter tout inconfort ou inefficacité.

La troisième partie de notre stratégie pour un bon gainage du pied consiste à intégrer toutes les techniques abordées. Je vous ai présenté un exemple parmi d'autres : un exercice de saut à cloche-pied combiné à une stimulation électrique. Cette approche permet de synchroniser le mouvement dynamique avec la stimulation électrique pour améliorer la coordination et la stabilité du pied.. 

Résumé pratique

En résumé pratique, lorsqu'on décide, après évaluation et discussion avec le patient, de procéder à un renforcement du pied avec le modèle 1.0, nous suivons une progression structurée. Nous commençons par enseigner l'exercice du short foot. Une fois maîtrisé, nous augmentons progressivement la charge.

L'étape suivante est l'exercice du dôme, une version avancée du short foot qui intègre les muscles extrinsèques, augmentant graduellement la charge. On ajoute ensuite l'électrostimulation pour un renforcement plus efficace.

Si le patient a du mal avec le short foot, s'il ne parvient pas à activer ses muscles intrinsèques, nous utilisons des exercices d'activation comme le spread out ou l'extension des orteils pour aider à "réveiller" ces muscles. Après amélioration, nous revenons au short foot, puis progressons vers le dôme et l'électrostimulation.

Si l'activation reste difficile, nous introduisons l'électrostimulation seule pour aider le patient à sentir et activer les muscles intrinsèques. Normalement, cela permet de progresser de nouveau vers le short foot et, enfin, vers le dôme avec une électrostimulation plus intense. C'est ainsi que nous appliquons le renforcement du pied 1.0 en pratique courante.

Effets ?

Comme mentionné précédemment, les effets du renforcement 1.0 ne se traduisent pas significativement par de l'hypertrophie ou un renforcement majeur, mais plutôt par ce que l'on appelle la post-activation potentiation, ou potentiation. Cette méthode améliore la capacité à produire de la force ou optimise l'utilisation des muscles intrinsèques du pied. De plus, l'effet le plus important réside probablement dans les aspects neuronaux, notamment grâce à l'amélioration des afférences sensorielles, facilitée par la stimulation de la semelle plantaire.

En lien avec ces observations, je vous invite à consulter une étude que nous avons récemment menée, dirigée avec expertise par Romain Tourillon et publiée dans le Journal of Athletic Training en 2022, accessible librement. Romain a expérimenté avec un groupe de sujets par rapport à un groupe contrôle, en examinant les effets d'une seule séance d'électrostimulation avec des intensités élevées sur plusieurs aspects : la production de force, le positionnement du naviculaire, et le test de Y-balance. Nous avons observé des résultats très intéressants sur ces trois paramètres, avant et après une unique séance.

Ces résultats indiquent clairement que, plutôt que du renforcement musculaire classique, nous observons un effet positif, probablement dû à des mécanismes neuronaux et de potentiation. Cette découverte est particulièrement utile dans notre pratique : nous employons l'électrostimulation des muscles intrinsèques du pied ou de l'arche plantaire en préambule des séances de kinésithérapie. Cela permet de préparer et de potentialiser le patient avant qu'il ne commence les exercices de renforcement ou les activités dynamiques posturales avec nous.

L'électrostimulation nous intéresse particulièrement car elle s'avère être un outil majeur pour l'activation neurale. Pour illustrer son importance, je vous renvoie à une étude récente menée par Olivera en 2021, qui montre que de nombreuses personnes, même en l'absence de pathologie, présentent un déficit d'activation, notamment de l'abducteur du gros orteil. Dans cette étude, sur 13 patients testés, 10 étaient incapables d'activer correctement cet abducteur. L'électrostimulation s'avère donc extrêmement utile pour pallier ce type de déficit et améliorer l'activation des muscles ciblés.

Revenons à notre schéma initial. Vous avez pu noter la présence du 1.0 en noir et une flèche qui pointe vers le 2.0. Cette transition symbolise l'évolution de nos connaissances et de la littérature scientifique récente, qui nous incite à repenser nos approches. Si l'on souhaite améliorer l'efficacité de notre entraînement, il est essentiel de changer notre façon de penser : isoler les muscles intrinsèques du pied pour les renforcer n'est pas nécessaire, voire c'est l'inverse qui est vrai. Pour appliquer une charge suffisante sur les intrinsèques, il faut les faire travailler simultanément avec les extrinsèques. C'est dans cette synergie que les muscles intrinsèques peuvent être sollicités au maximum.

Nous avions déjà abordé ce sujet dans un podcast avec Julien Astouric, “Objectif Performance”, où cette idée avait été discutée. Ce concept fait écho aux recherches de Luc Kelly, de Farris et de Smith, très récentes. Romain Tourillon, notamment, a excellé dans l'explication et la diffusion de ces idées dans la francophonie.

Surestimation ?

Nous avons quelque peu surestimé le rôle des muscles intrinsèques du pied dans l'absorption des chocs et la propulsion. En examinant les études récentes, il apparaît que seulement 18% de la contribution à la décélération du centre de masse vient du pied à gauche, et seulement 12% à droite pour la propulsion. Cependant, ces contributions deviennent encore plus faibles si nous bloquons le nerf tibial, anesthésiant ainsi les muscles intrinsèques du pied. Dans ce cas, seulement 3% de la contribution provient des muscles intrinsèques.

Cela montre que leur rôle est vraiment minime, tandis que les muscles extrinsèques jouent un rôle plus significatif, contribuant à 15% dans l'absorption et à 9% dans la propulsion. Ces pourcentages ne totalisent pas 100%, car les exercices impliquent tout le membre inférieur, avec le reste des contributions venant d'autres groupes musculaires majeurs tels que le triceps sural, le quadriceps et les muscles fessiers.

Selon les travaux récents de Smith en 2022, les muscles extrinsèques du pied sont les principaux contributeurs à la production d'énergie et à l'absorption des impacts. Renforcer efficacement un pied implique donc de se concentrer principalement sur les extrinsèques. Autrefois, nous avions tendance à insister sur les intrinsèques, car ils étaient largement négligés et considérés comme les grands oubliés. Cela a mené à un effet de balancier où, pendant quelques années, le renforcement du pied s'est presque exclusivement concentré sur les intrinsèques. Il est désormais temps de rééquilibrer notre approche, ce qui est précisément l'objectif de ce passage au 2.0.

On sous-estime le rôle des intrinsèques par contre pour la cheville. En gros, on a trop pensé que les intrinsèques étaient responsables de la raideur, la stiffness de l'arche médiale du pied. En fait non, notre petit rond là il se déplace. Ils sont beaucoup plus importants dans leur rôle d'enraidissement et de stabilisation du pied. Et bien toujours pareil, si on fait un bloc du nerf tibial, qu'on enlève l'action des intrinsèques, on se rend compte qu'on réduit de manière importante la raideur autour des métatarsophes phalangiennes, ce qui a pour conséquence de réduire le travail et la puissance au niveau de la cheville, parce qu'on n'a plus ce levier pied fort pour transmettre l'activité du triceps sural, et que par exemple, sur des études récentes, on a une diminution de la hauteur de saut vertical de 2 cm, ce qui n'est quand même pas rien. Donc ce rôle très important dans la propulsion et dans la capacité à transmettre la force. Donc en fait, c'est ce couplage biomécanique et neurophysiologique entre les intrinsèques et le triceps sural qui est vraiment à la clé de beaucoup de choses. Donc finalement, on a le triceps sural d'un côté, on a les extrinsèques du pied de l'autre, et nos intrinsèques qui sont des bonificateurs, des catalyseurs de ce travail-là, de cette espèce de tripode entre ces trois grands groupes musculaires que je vous présentais tout à l'heure dans la slide sur l'anatomie. 

Il est intéressant de noter les conclusions de la thèse de Ross Smith en 2022, qui indiquent que le résultat le plus significatif n'est pas tant la capacité énergétique des muscles intrinsèques du pied, mais plutôt leur rôle dans la fourniture d'un mécanisme actif pour augmenter la rigidité du pied. Cette rigidité accrue permet une transmission plus efficace de la force des fléchisseurs plantaires de la cheville dans le sol.

Ainsi, un renforcement efficace du pied ne doit pas seulement se concentrer sur la force de l'avant-pied et des articulations métatarsophalangiennes, mais également sur celle du mollet. Nous explorerons cela plus en détail à travers quelques vidéos tout à l'heure, pour illustrer pratiquement ces concepts.

Pour revenir aux points 1, 2, et 3 concernant les muscles intrinsèques, nous avons quelque peu été victimes de notre propre succès en cherchant à les remettre en avant, en surévaluant leur rôle isolé dans le soutien de l'arche médiale du pied. En réalité, ils fonctionnent dans un ensemble plus global avec les muscles extrinsèques et le triceps sural. De plus, il est très difficile, voire impossible, d'évaluer leur force musculaire de manière isolée. Par le passé, nous avons trop souvent utilisé des méthodes indirectes, supposant que si la raideur de l'arche était adéquate, cela signifiait forcément que les muscles intrinsèques étaient forts, ce qui était une déduction trop indirecte.

En outre, et c'est un point sur lequel nous reviendrons, nous avons tendance à utiliser des charges trop légères ou des méthodes insuffisamment intenses pour le renforcement du pied. Nous verrons que pour renforcer efficacement les muscles intrinsèques, il est préférable de ne pas les isoler, mais plutôt de les engager dans des exercices qui impliquent également d'autres groupes musculaires.

La neurophysiologie

Ces diapositives, développées par Romain Tourillon, mettent en lumière des aspects importants de la neurophysiologie que nous tenons à souligner, notamment l'approche fonctionnelle des muscles du pied comparée à celle des mains. Par exemple, si l'on regarde l'abducteur du pouce de la main, sa section transversale est de 1,6 cm² et il possède 136 unités motrices, ce qui est adapté pour des tâches nécessitant précision et contrôle, mais avec une force relativement faible. En revanche, l'abducteur du gros orteil du pied présente une section transversale beaucoup plus importante, de 6,6 cm², mais avec beaucoup moins d'unités motrices.

Cette différence illustre clairement que l'abducteur du gros orteil n'est pas conçu pour des tâches de précision semblables à celles réalisées par les doigts de la main, comme jouer du piano. Au contraire, il est structuré pour générer de grandes forces à haute intensité, ce qui est crucial pour les mouvements et la stabilité du pied lors de la marche, la course, ou d'autres activités physiques nécessitant un appui robuste et efficace.

Il est crucial de modifier nos exercices pour passer de la coordination simple à des exercices ciblant la flexion des articulations métatarsophalangiennes. Les exercices mentionnés dans l'étude de Gooding, axés sur la coordination, ne constituent pas des exercices de renforcement. Ils servent principalement à activer les muscles, préparant ainsi le terrain pour des entraînements plus intensifs qui visent réellement à augmenter la force musculaire.

La désadaptation à la sous-charge

Nous avons souvent l'habitude de commencer les protocoles de renforcement du pied en position assise sur deux pieds, puis debout à deux pieds, et enfin sur un pied. Cependant, comme l'illustrent des études plus anciennes de Luke Kelly au Qatar, il est essentiel de reconsidérer cette approche. L'activité électromyographique (EMG) de l'abducteur du gros orteil montre une différence notable entre l'appui bipodal, où l'activité EMG est faible, et l'appui monopodal, où elle est beaucoup plus importante. Ainsi, si la condition du patient le permet, il est préférable de commencer directement par des exercices en appui monopodal debout, sans passer par des étapes intermédiaires assises ou en appui bipodal, car elles sont moins efficaces pour activer et renforcer les muscles du pied.

Donc, le début de tout exercice de renforcement doit se faire au moins, et si possible, en fonction du cas, en charge bipodale ou alors en bipodale avec charge. 

Les principes de l'entrainement

Lorsqu'on aborde l'entraînement du pied, il est crucial de respecter les principes fondamentaux de l’entraînement. Souvent, on me demande dans mes cours combien de fois il faut réaliser l'exercice du short foot, par exemple. La réponse est qu'il n'y a pas de protocole unique. Il faut d'abord déterminer l'objectif de l'entraînement : recherche-t-on une endurance de force, une force explosive, ou une hypertrophie?

En fonction de ces objectifs, l'entraînement doit suivre des principes bien établis comme la spécificité, la variété, la progressivité, l'individualisation et la surcharge. Ces principes sont essentiels pour provoquer des adaptations neurales initiales et, plus important encore, des effets mécaniques sur les fibres musculaires par la suite. 

Donc, les exercices de renforcement du pied doivent suivre les principes de l'entraînement contre résistance. 

Stratégies pour un bon renforcement du pied

Pour approfondir l'idée de renforcement du pied, il pourrait être utile de remplacer l'expression "gainage du pied" par "stratégie pour un bon renforcement du pied". Nous avons déjà discuté des étapes 1, 2 et 3 de notre approche 1.0, mais il est crucial de ne pas négliger la phase 2.0. Cette dernière phase a été éclairée par les travaux récents d'anglo-saxons et de personnes comme Romain Tourillon, et est désormais largement partagée dans la communauté francophone par Romain, moi-même et d'autres.

Pour ceux intéressés par une ressource supplémentaire, je recommande le blog Sportsmith, axé principalement sur la préparation physique mais accessible librement. Un article particulièrement intéressant de Romain publié en 2022 y est disponible, accompagné de nombreux matériels sous forme de vidéos. Je vais vous montrer certaines de ces vidéos ici, mais n'hésitez pas à consulter cet article sur Sportsmith pour plus d'informations.

Nous allons examiner une approche intéressante développée par un collègue de notre pôle pied-cheville à l'hôpital, Paul-Joseph Bouquillon. Il propose un exercice qui combine renforcement intrinsèque et extrinsèque des muscles du pied. Dans cet exercice, nous surimposons l'électrostimulation et ajoutons une extension des articulations métatarsophalangiennes, ce qui place les muscles intrinsèques et extrinsèques dans une meilleure position d'isométrie, augmentant ainsi la production de force. De plus, cette configuration permet un focus plus spécifique sur les muscles intrinsèques, notamment dans leur rôle pour le médiopied et l'avant-pied.

Lors de l'exécution de l'exercice, nous demandons aux sujets de se pencher légèrement en avant pour accentuer la flexion des MTP, avec l'électrostimulation ajoutée et une inclinaison vers l'avant pour intensifier l'ensemble du mouvement. Vous remarquerez également que l'intensité de l'électrostimulation est ajustée progressivement, car son efficacité repose sur le maintien d'une intensité maximale tolérable par le patient, ajustée en fonction de ses réactions.

Pour individualiser davantage la progression, nous introduisons une étape suivante où des kettlebells sont utilisés. Les sujets tiennent ces poids pendant l'exercice, ajoutant une charge supplémentaire et augmentant ainsi la complexité et l'intensité de l'entraînement, marquant ainsi l'étape 2 de cette progression.

Pour un renforcement plus ciblé des muscles intrinsèques et extrinsèques du pied, la flexion des métatarsophalangiennes reste une méthode efficace. Une approche simple consiste à s'asseoir face à un mur et à réaliser des flexions des MTP avec intensité maximale. Cette technique permet aux patients de se concentrer pleinement sur l'exercice, en poussant leurs capacités au maximum selon des protocoles que vous aurez personnalisés en fonction des objectifs spécifiques de renforcement musculaire que vous souhaitez atteindre.

La même approche de flexion des métatarsophalangiennes peut aussi être pratiquée en position debout. Il est courant de perdre la contraction des petits orteils, notamment le petit orteil et parfois le quatrième, mais ce n'est pas très grave car notre focus principal concerne les trois premiers orteils. Pour augmenter l'efficacité de cet exercice, vous pouvez également incorporer de l'électrostimulation. Tout cela est réalisé en suivant un protocole spécifique et chronométré défini par le thérapeute, assurant ainsi que l'exercice soit exécuté de manière structurée et mesurée.

Nous continuons d'intensifier le renforcement des muscles intrinsèques et extrinsèques du pied. Vous pourriez être surpris de voir que cet exercice implique les mollets, ce qui semble initialement un travail destiné à ces muscles uniquement. Cependant, il est essentiel de comprendre que nous visons le couplage entre les muscles du mollet, les extrinsèques et les intrinsèques, avec un intérêt particulier pour l'interaction entre les mollets et les intrinsèques.

Ainsi, pour renforcer efficacement les intrinsèques du pied, un des exercices les plus efficaces est le bondissement avec les genoux tendus. Cet exercice peut être réalisé avec les deux pieds ou sur un seul pied, et avec ou sans charge supplémentaire. Ces variations permettent de cibler et de renforcer divers aspects de la force et de la coordination du pied.

On le voit ici avec charge et toujours dans cette idée de stiffness de raideur du membre inférieur et de couplage intrinsèque et mollet. 

Implications cliniques : exercices

Cette technique est détaillée dans les vidéos disponibles sur le Sportsmith de Romain Tourillon. Le "heel raise" modifié peut servir à la fois de test et d'exercice. Pour le réaliser, positionnez les métatarsophalangiennes en flexion dorsale à 20 degrés et effectuez des montées sur la pointe des pieds. Cette modification permet de mettre un focus particulièrement intéressant sur les muscles du pied, optimisant leur engagement et renforcement lors de l'exercice.

Les exercices de stratégie de renforcement de l'avant-pied basé sur la propulsion, on a une barre qui est bloquée ou qui est plus lourde que ce que peut soulever le patient et on va lui demander de venir pousser sur l'avant-pied, faire une flexion des métatarso phalangiennes. 

Nous pouvons enrichir cet exercice en y ajoutant l'électrostimulation. Le patient effectue l'exercice en étant positionné de manière à ne pas soulever son talon, créant ainsi une situation où le talon est bloqué au-dessus du sol, ce qui engendre un travail isométrique puissant.

Pour varier, nous pouvons aussi orienter l'exercice avec un focus plus spécifique sur le médio-pied. Dans cette variation, vous pouvez penser à l'exercice du pont ou du bridge, mais au lieu d'être simplement entre deux planches de bois avec le poids du corps, l'athlète est en situation de force maximale. Cela peut être combiné avec un exercice de type dôme, toujours avec un accent sur le médio-pied. L'électrostimulation peut également être intégrée pour augmenter l'intensité et l'efficacité de l'exercice, en renforçant encore plus la stimulation des muscles ciblés.

 

Le premier rayon est très important. Vous pouvez faire un focus sur le premier rayon ici, sur une leg curl qu'on a retournée. 

Vous pouvez mesurer ou donner un feedback au patient en plaçant votre dynamomètre à main comme ça sous votre orteil. Ça place en plus votre premier orteil en extension. 

La meilleure manière d'obliger un patient à focaliser sur le premier rayon, c'est de placer un élastique comme ça, un peu horizontal sous la MTP ou sous le premier orteil. Puis l'élastique lâche tout de suite si le patient ne pousse pas assez sous le premier orteil. 

Ici, on demande de passer par le premier orteil et de monter sur la pointe de pied. Puis là, on focalise carrément sur le premier orteil.

On peut soulager le poids de corps, le patient peut se tenir et soulager un petit peu. Puis bien sûr, le couplage avec le feedback sur les plateformes de force. Et toujours cet électro qui n'est jamais très loin. 

Ici, on va être davantage pliométrique sur le premier rayon, avec toujours notre travail avec la petite extension des orteils. 

Voilà, on va terminer ici, électro, poussée maximale et transfert de la force vers l'avant. 

En utilisant une kettlebell, on peut augmenter l'intensité de l'exercice en soulevant plus que le poids du corps tout en étant sur le côté d'un plan incliné. Cela oblige le sujet à transférer la force principalement sur son premier rayon, intensifiant ainsi le travail spécifique sur cette zone.

Je vous remercie beaucoup pour votre attention. Comme vous pouvez l'imaginer, il s'agit d'un aperçu rapide d'un cours qui dure normalement 8 heures, incluant des parties pratiques. J'espère que cette présentation a été claire concernant la transition du modèle 1.0 au 2.0, ainsi que l'intégration des muscles intrinsèques, extrinsèques, et du triceps sural pour toujours augmenter la charge et la précision des exercices proposés pour les muscles du pied.

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