L’entorse de cheville fait partie des blessures musculosquelettiques les plus fréquentes encore trop banalisées et la reprise du sport après cette blessure est souvent trop rapide. Cette reprise précipitée peut s’expliquer en partie par l’engouement des athlètes, mais également par le peu de consensus décisionnel disponible dans la littérature. Nous discuterons justement des récentes avancées sur le retour au sport après une entorse de cheville et de ce qu’on peut mettre en place en pratique.
Au terme de cette masterclass, vous aurez une bonne vision d’ensemble sur les critères de décision pour un retour au sport sécurisé après une entorse latérale de cheville ainsi que des exemples spécifiques qui peuvent être intégrés dans votre prise en charge.Visionner cette masterclass vous permettra d’améliorer vos connaissances sur la prise en charge de l’entorse de cheville dans un contexte de retour au sport.
Épidémiologie
Nous allons aborder le sujet de l’entorse latérale de cheville dans le contexte spécifique du retour au sport. Pour commencer, parlons un peu d'épidémiologie. Les entorses de cheville sont des blessures courantes, bien que nous disposions de peu d'informations sur la population française et belge. Cependant, en se basant sur une étude épidémiologique menée aux Pays-Bas, on peut estimer qu'il y a environ 1,5 à 2,2 millions de blessures de cheville par an dans une population franco-belge, c’est assez important.
Cercle vicieux de l'entorse de cheville
Parmi les blessures de cheville, la plus courante est l'entorse latérale de cheville. Malheureusement, cette blessure peut entraîner le développement d'une instabilité chronique, qui peut affecter jusqu'à 40% des individus. De plus, les personnes ayant déjà subi une entorse présentent souvent des symptômes résiduels importants, tels que des douleurs ou des gonflements. Ces problèmes contribuent malheureusement à un taux de récidive élevé, qui peut atteindre jusqu'à 34% après une entorse latérale de cheville.
Approche Evidence-Based-Practice
En tant que praticiens, nous sommes souvent confrontés à des sportifs et des sportives qui se blessent sur le terrain et qui viennent nous voir, soit immédiatement après l'incident, soit plus tard dans nos cabinets. Leur principale préoccupation est souvent de savoir quand ils pourront reprendre leur sport. En tant que praticiens axés sur l’EBP, nous prenons en compte les aspirations et les objectifs des patients, qui consistent souvent à retourner à leur sport. Cependant, baser notre réponse sur les données de la littérature scientifique peut être difficile, car la durée de la réparation ligamentaire au niveau biologique est estimée entre 6 et 12 semaines, rendant difficile la prédiction précise de la date de reprise du sport. Dans notre expérience clinique, nous observons souvent que de nombreux sportifs reprennent rapidement. En effet, on estime que 86% d'entre eux reprennent leur activité en moins d'une semaine après leur blessure initiale. Aujourd'hui, nous allons discuter de l'importance de la prise de décision pour un retour au sport, en cherchant à comprendre ce que signifie le retour au sport et quels critères nous permettent de prendre des décisions pour que nos sportifs reprennent leur activité de la manière la plus sécurisée possible.
Intégrer des évaluations
Récemment, une définition du retour au sport a émergé à la suite d'un congrès qui s'est tenu à Berne, où un groupe de chercheurs et de cliniciens s'est réuni pour définir précisément ce que signifie le retour au sport. Ce retour au sport n'est pas considéré comme un événement ponctuel, mais plutôt comme un continuum composé de trois phases principales. Tout d'abord, il y a le retour à la participation, qui consiste par exemple à autoriser le sportif à reprendre la course à pied sur une surface stable et sécurisée après une blessure. Ensuite, il y a le retour au sport avec une intensité accrue, adaptée au type de sport pratiqué. Pour certains individus, l'objectif peut simplement être de reprendre leur activité sportive, et cela peut suffire pour eux. Cependant, pour les sportifs de niveau supérieur, on peut viser la troisième phase, qui est le retour à la performance, c'est-à-dire retrouver le niveau de performance qu'ils avaient avant leur blessure. Pour l'ensemble de ce continuum, une approche progressive et individualisée est nécessaire, adaptée à chaque personne. Pour ce faire, il est essentiel d'intégrer des évaluations qui nous permettent d'adapter nos traitements et de prendre les meilleures décisions possibles.
Les recommandations PAASS
Avant 2019, il n'y avait pas de consensus clair sur les critères à évaluer pour prendre des décisions éclairées concernant le retour au sport après une entorse de cheville. Une revue systématique réalisée par Bruno Tassignon, a mis en lumière ce manque de consensus malgré quelques informations d'experts dispersées dans la littérature. Suite à ce constat, un groupe de chercheurs affilié à l'International Ankle Consortium a entrepris une étude DELPHI visant à établir des recommandations. Ils ont interrogé 154 experts internationaux, comprenant des chercheurs et des cliniciens sur le terrain, afin de déterminer un ensemble de critères pertinents. Cette étude a permis de mettre en évidence 16 critères regroupés sous cinq grandes catégories, baptisées PAASS. Chaque lettre représente une catégorie de critères à prendre en compte lors de l'évaluation du retour au sport.
Pain
Dans cette présentation, nous allons aborder quelques exemples de chacun de ces critères. Nous commencerons par le premier "P" du PAASS, qui représente la douleur (Pain). Dans notre prise en charge, nous intégrons des échelles d'évaluation quantitatives de la douleur. Nous prenons également en compte les aspects multidimensionnels de la douleur. Il est crucial de consigner les niveaux de douleur signalés par le patient, car d'une semaine à l'autre, il peut être facile d'oublier ce qui a été rapporté précédemment. Ces informations sont extrêmement utiles pour évaluer si nous avons été trop agressifs dans notre traitement ou si le patient est prêt à reprendre certaines activités.
Ankle impairments
Ensuite, concernant la deuxième lettre, donc le premier "A" du PAASS, il représente les "ankle impairments", c'est-à-dire l'ensemble des déficits de la cheville. Ici, je vais vous présenter quelques évaluations et attirer votre attention sur l'importance de l'évaluation de la mobilité, qui fait partie de ces critères, notamment la mobilité en dorsiflexion. En effet, avoir un déficit de dorsiflexion est un facteur de risque pour les entorses de cheville. Par conséquent, il est crucial d'évaluer la dorsiflexion et de déterminer s'il est nécessaire de travailler sur ce déficit. Un exemple d'évaluation de la dorsiflexion est le Weight-Bearing Lunge Test. Pour réaliser ce test, vous aurez besoin d'un mètre ruban et d'un point de repère sur le mur, comme le pied d'une table de kiné par exemple. Demandez à la personne de faire une fente avec son pied droit tout en gardant le talon au sol, puis mesurez la distance entre le gros orteil et le mur. L'objectif est d'atteindre la plus grande distance possible tout en maintenant le talon au sol. Des normes existent pour ce test, qui est valide et reproductible.
Ensuite, en ce qui concerne les déficits de la cheville, il est important d'évaluer également la force musculaire de la cheville. Je tiens également à souligner l'importance de regarder un peu plus haut, au niveau de la hanche, car des faiblesses à ce niveau peuvent également augmenter le risque de blessure à la cheville et donc eventuellement de récidive. Il existe plusieurs façons d'évaluer la force musculaire. Vous connaissez probablement les dynamomètres isocinétiques, mais ceux-ci sont parfois difficiles d'accès. C'est pourquoi j'ai choisi de vous présenter aujourd'hui le dynamomètre manuel, qui permet une évaluation isométrique de manière reproductible et valide. De plus, il est facilement intégrable dans la pratique clinique.
Je souligne l'importance du dynamomètre manuel car il permet d'obtenir des mesures quantitatives de la force musculaire, ce qui peut être crucial dans le contexte du retour au sport. Souvent, lors de l'évaluation manuelle de la force musculaire, nous n'avons pas de données quantitatives réelles, ce qui peut entraîner un manque de précision. Utiliser un dynamomètre manuel peut fournir des valeurs en newtons ou en kilogrammes, ce qui est plus facile à interpréter et à visualiser.
Le test le plus valide et reproductible dans l'utilisation des dynamomètres manuels est le Make test. Pour ce test, le dynamomètre doit être fixe et le patient doit pousser contre celui-ci aussi fort que possible pendant cinq secondes. On enregistre ensuite la force maximale atteinte et on permet au patient de réaliser trois essais, en enregistrant la meilleure valeur.
Ici, je vous montre un petit montage que j'ai réalisé où on a un dynamomètre qui est fixe et ,comme vous pouviez voir précédemment sur la photo, on avait un système de poussée, ici c'est un système de tirage. Donc là on demande au patient pour la dorsiflexion de venir tirer le pied vers lui et on obtient une valeur en kilo.
Un autre mouvement peut être effectué, celui de l'inversion, où le patient est invité à tourner la plante du pied vers l'intérieur. Les valeurs de force obtenues sont relativement faibles, mais chez les sportifs, elles peuvent être significativement plus élevées. Mme Aguilaniu avertit d’un conflit d'intérêt concernant le montage présenté, qu’elle a développé dans le cadre de ses recherches et qui est commercialisée. Divers dynamomètres manuels sont néanmoins disponibles sur le marché, avec différentes options en termes de prix et de fonctionnalités. L'objectif principal est de démontrer que ces dispositifs peuvent être intégrés dans la pratique clinique pour évaluer la force musculaire de manière fiable et pratique.
Athlete perception
Le deuxième "A" de l'acronyme PAASS, “athlete perception”, se concentre sur la perception de l'athlète concernant sa cheville. Il s'agit d'évaluer si l'athlète se sent capable de reprendre son sport. Pour évaluer cet aspect, des questionnaires sont utilisés, notamment les questionnaires FAAM (Foot and Ankle Ability Measure) pour la vie quotidienne et le sport. Bien que l'intégration de questionnaires puisse sembler demander du temps, des stratégies comme les administrer pendant l'attente du patient (en salle d’attente) ou entre les séances peuvent être adoptées. Une autre approche consiste à utiliser ces questionnaires lors de l'anamnèse pour obtenir des informations plus précises et suivre l'évolution du patient. Les questionnaires FAAM et d’autres questionnaires de perception de la cheville sont accessibles gratuitement via ce QR code, ce qui permet aux praticiens de les utiliser facilement dans leur pratique clinique.
Sensorimotor control
La quatrième catégorie du PAASS, le contrôle sensorimoteur, inclut les évaluations des contrôles posturaux statiques et dynamiques. Parmi les évaluations du contrôle postural dynamique, nous avons le Y-balance test, anciennement connu sous le nom de STAR excursion balance test. Le Y-balance test évalue la capacité d'une personne à atteindre la distance la plus loin possible dans trois directions différentes tout en maintenant l'équilibre sur une jambe d'appui. Ces trois directions sont l'antérieure, la postéro-médiale et la postéro-latérale. Pour chaque direction, le patient pousse le plus loin possible avec son pied libre tout en restant stable sur la jambe d'appui. Les distances atteintes sont mesurées et comparées entre les côtés droit et gauche. Une faible distance dans certaines directions, notamment la direction postéro-médiale, peut être un facteur de risque d'entorse. Ainsi, évaluer ces capacités de contrôle postural dynamique est important dans le processus de retour au sport.
Sport functional performance
Dans la dernière catégorie, on aborde les performances sportives ou fonctionnelles. Par exemple, le T-test d'agilité, qui met l'accent sur l'accélération et les changements de direction, se rapprochant ainsi des gestes sportifs. Bien que ces tests ne reproduisent pas toujours l'intensité d'une compétition, ils offrent une approche fonctionnelle. Il existe également une variété de tests de sauts adaptés à différents sports, chacun avec ses propres normes. L'importance réside dans la sélection des tests en fonction du sport pratiqué par l'individu et dans l'adaptation des évaluations aux objectifs et aux capacités spécifiques du patient, afin de déterminer sa capacité à retourner sur le terrain de manière sécurisée.
Applications du PAASS
Dans chaque catégorie, j'ai présenté quelques exemples d'évaluations, mais ces listes ne sont pas exhaustives. Il existe de nombreuses autres évaluations qui peuvent être utilisées en pratique. Après avoir réalisé ces évaluations, il est essentiel de consigner les valeurs obtenues, notamment pour la douleur, ainsi que pour tous les autres paramètres évalués. Il est nécessaire d'interpréter ces valeurs pour aider à prendre une décision concernant le retour au sport de manière sécurisée. Les recommandations dans ce domaine sont encore relativement récentes, et il est possible que toutes les informations désirées ne soient pas toujours disponibles. Cependant, la recherche progresse et continuera à évoluer. Récemment, une étude menée par le chercheur français Brice Picot a regroupé plusieurs évaluations décrites dans le PAASS pour établir un score permettant de déterminer si un athlète est apte à retourner sur le terrain. Bien que ce score soit très intéressant, il ne prend pas en compte tous les aspects pertinents, notamment ceux qui ne sont pas normalisés. Par exemple, un patient présentant un déficit de mobilité devra travailler cette mobilité avant de reprendre son activité sportive. De même, si on a un déficit de force musculaire, de proprioception, ou s'il n'est pas prêt à faire son sport spécifique. Il est important de considérer cet ensemble de paramètres dans une approche globale et individualisée en fonction du patient. Il convient également de suivre les nouvelles informations et de prendre en compte les données disponibles sur le terrain et dans la littérature pour guider les décisions cliniques.
Conclusion
En conclusion, le retour au sport est considéré comme un continuum pour l'ensemble des blessures musculo-squelettiques, y compris pour une entorse de cheville. Pour prendre des décisions éclairées et assurer un suivi efficace de nos patients, l'intégration d'évaluations est essentielle. Cela nous permet de ne pas avancer à l'aveugle et de progresser de manière éclairée. Heureusement, des outils ont émergé dans la littérature pour nous guider, notamment l'acronyme PAASS développé par l'Ankle International Consortium. Lors de la prise en charge, il est crucial de maintenir une approche basée sur les preuves (Evidence-Based Practice), en restant progressif, adaptable et en cherchant à personnaliser au mieux les interventions pour permettre à nos patients de reprendre le sport de manière aussi sécurisée que possible.