Dans cette Masterclass on abordera le raisonnement clinique autour du déficit de flexion dorsale de cheville et les choix thérapeutiques qui en découlent afin de proposer une approche individualisée à nos patients.
Pour cela, nous verrons tout d’abord l’intérêt d’une bonne flexion dorsale de cheville dans la biomécanique du membre inférieur et en quoi cela peut être le précurseur de pathologie musculosquelettiques.
Enfin, par le biais d’un raisonnement basé sur l’évaluation quantitative et qualitative nous verrons comment diagnostiquer les différentes structures pouvant être impliquées dans le déficit de flexion dorsale de cheville afin de mettre en place le traitement approprié.
Flexion dorsale de cheville : Importance biomécanique
On se retrouve aujourd'hui pour une masterclass sur la raideur de cheville en flexion dorsale, on abordera un petit peu les raisonnements cliniques derrière cette fameuse raideur de cheville en flexion dorsale et puis ensuite découlera de ce raisonnement clinique des choix thérapeutiques. Commençons par comprendre l'importance de la flexion dorsale de la cheville en termes de biomécanique. Lors de la marche ou de la course, trois pivots se produisent au niveau de la cheville. Tout d'abord, le "heel rocker" lors de l'impact du talon avec le sol, suivi de l'avancée du tibia sur le talus, appelé "ankle rocker", et enfin le pivot autour des articulations métatarsophalangiennes, connu sous le nom de "forefoot rocker". Ces pivots déterminent les moments d'absorption des forces de réaction au sol et sont essentiels pour la propulsion.
Cette mobilité en flexion dorsale correspond au mouvement du tibia sur le talus, connu sous le nom “d'ankle rocker", et est essentielle dans l'absorption des forces de réaction au sol par le membre inférieur. Elle joue un rôle fondamental dans des mouvements tels que la marche, la course, les sauts ou même le squat.
Donc, prenons un exemple concret avec ce basketteur et concentrons-nous sur son pied gauche. Vous remarquerez un décollement précoce du talon, probablement dû à un manque de flexion dorsale. Ce déficit impacte significativement son absorption des forces. En examinant les courbes de force, la jambe gauche (en bleu) montre un problème majeur dans la phase d'absorption par rapport à la jambe droite (en orange). Plus précisément, il semble que le problème réside moins dans la propulsion, comme le montre le graphique en bas à droite, mais plutôt dans la capacité à freiner, ce qu'on appelle “l’Eccentric Braking Impulse”; l'impulsion excentrique pour freiner.
Flexion dorsale de cheville et risque de blessure
En examinant le déficit de flexion dorsale de la cheville et son lien avec les risques de blessure, nous pouvons constater qu'un patient présentant un tel déficit, comme celui illustré à gauche, est plus susceptible de développer plusieurs problèmes. Ces problèmes incluent la fasciopathie plantaire, la tendinopathie d'Achille, ainsi que les entorses latérales et l'instabilité chronique de la cheville du point de vue sensorimoteur. Bien entendu, il est important de noter que le déficit de flexion dorsale n'est qu'un facteur de risque parmi d'autres et que toutes les personnes atteintes de ces affections n'en présentent pas nécessairement un. Cependant, il reste un élément à évaluer et à surveiller de près. Par ailleurs, ce déficit de flexion dorsale peut également avoir des répercussions sur la santé du genou. En effet, il peut contribuer à des problèmes tels que la tendinopathie patellaire et les lésions du LCA en augmentant les moments d'extension et en limitant le mouvement du tibia sous le talus. Ainsi, la santé dans le plan sagittal du membre inférieur, notamment au niveau de la cheville, est cruciale, car un manque de mobilité peut entraîner une augmentation des moments articulaires dans les plans frontaux et transversaux, augmentant ainsi le risque de blessures ligamentaires, tendineuses et musculaires.
Déficit de flexion dorsale
Le déficit en flexion dorsale de la cheville est souvent caractérisé comme une raideur, ce qui peut conduire à l'utilisation répétitive de techniques similaires en thérapie manuelle ou d'exercices d'automobilisation. Cependant, cette approche globale peut ne pas toujours être efficace pour modifier ce déficit chez les patients. Dans cette masterclass, nous examinerons le raisonnement clinique derrière cette raideur et verrons qu'il existe en réalité plusieurs types de raideurs, chacune nécessitant des techniques spécifiques. Comprendre ces différentes raideurs permet d'adopter une approche plus individualisée et spécialisée pour chaque patient.
Raisonnement clinique - Gêne antérieure
Le raisonnement clinique commence par l'évaluation du déficit de flexion dorsale en charge, principalement à travers le Weight-Bearing Lunge Test. Ce test fournit à la fois une mesure quantitative, indiquée par la distance entre le gros orteil et le mur, on sait qu'une asymétrie d’environ 1,9 cm est un score qui commence à être significatif. Et une mesure qualitative, représentée par la sensation de gêne ou de blocage ressentie par le patient lors du test. Cette gêne peut se manifester de différentes manières, la plus connue est une sensation de blocage antérieur, souvent décrite comme une barre devant le cou-de-pied. Pour déterminer les techniques appropriées pour cette gêne antérieure, un autre test, le posterior talar glide test, est utilisé pour évaluer la capacité de glissement postérieur du talus sous le tibia.
Une différence de 4 degrés entre les deux jambes dans le posterior talar glide test indique un déficit significatif de glissement postérieur du talus sous le tibia. Dans de tels cas, les techniques de thérapie manuelle ciblant le talus sont particulièrement efficaces. Ces techniques peuvent inclure des manipulations directes du talus pour favoriser le glissement, ainsi que des méthodes comme celles utilisées dans le concept Mulligan, qui combinent à la fois des glissements directs et indirects à l'aide d'une sangle.
Si le posterior talar glide test ne révèle pas de déficit de mobilité de glissement postérieur du talus, il est peu utile de se concentrer sur ce point. Dans de tels cas, d'autres techniques de thérapie manuelle peuvent être explorées, telles que la mobilisation des os du médio-pied. Par exemple, une diminution de la capacité d'abaissement du naviculaire lors de la flexion dorsale en charge peut entraîner une réduction de l'engagement du talus. Dans ces situations, la gêne antérieure ressentie peut être attribuée à un problème au niveau du médio-pied, en particulier du naviculaire. Dans ces cas, des techniques visant à mobiliser l'arche du pied plutôt que le talus peuvent être bénéfiques.
Raisonnement clinique - Gêne antéro-externe
La deuxième gêne courante n’est plus une gêne purement antérieure, c’est ce point antéro-externe localisé côté fibula, suggérant un problème éventuel au niveau de la syndesmose ou un conflit antéro-externe. Ces diagnostics sont souvent négligés et sous-évalués lors des examens cliniques, nécessitant parfois une évaluation supplémentaire. Les techniques de thérapie manuelle, telles que les glissements antéro-postérieurs sur la tibio-fibulaire inférieure, type Maitland, peuvent être efficaces pour soulager cette gêne. Si cette sensation est présente, il est important de discuter avec un médecin et éventuellement d'orienter le patient vers des examens complémentaires pour obtenir un diagnostic précis.
Raisonnement clinique - Gêne rétro-malléolaire médiale
La troisième sensation fréquente est une gêne rétro-malléolaire médiale, ressentie derrière la malléole plutôt que sur le côté ou devant. Cela peut indiquer une tension du long fléchisseur de l'hallux qui passe derrière la malléole médiale. Pour confirmer ce diagnostic, on peut réaliser un test de flexion dorsale en charge tout en augmentant l'extension du premier rayon, ce qui peut aggraver la douleur ou réduire l'amplitude du mouvement. Des études montrent que la raideur du long fléchisseur de l'hallux impacte l'angle de flexion dorsale. Si le test confirme une limitation de mouvement ou une augmentation de la douleur, des étirements ciblés, notamment en combinant la flexion dorsale en charge avec l'extension du premier rayon, peuvent être recommandés. Il est préférable d'utiliser un objet dur plutôt que souple pour maintenir la position d'étirement, car cela crée une tension sur le long fléchisseur, favorisant l'étirement efficace.
Si le test ne montre aucune différence d'amplitude lors de l'extension du premier rayon, il convient d'explorer d'autres structures en thérapie manuelle, notamment l'articulation subtalaire à l'arrière du pied. Des techniques de glissements médio-latéraux peuvent être efficaces pour traiter cette gêne rétro-malléolaire médiale.
Raisonnement clinique - Gêne rétro-malléolaire latérale
La quatrième grande gêne qu'on retrouve c'est la gêne de l'autre côté qui est rétro-malléolaire latérale, elle est cependant assez rare. Pour l’investiguer, on réalise le même test de flexion dorsale en charge, mais cette fois-ci en inversion. Cette méthode vise à déterminer si le tendon des fibulaires est à l'origine de la gêne. Dans ce cas, des étirements des fibulaires en charge sur un plateau incliné en inversion, ainsi que des exercices excentriques, peuvent être bénéfiques pour améliorer la flexion dorsale. Si ce n'est pas la cause, la thérapie manuelle sur la tibio-fibulaire inférieure peut également être utile.
Raisonnement clinique - Gêne postérieure
Puis on finit par la dernière gêne qui est la plus connue avec la gêne antérieure ; la gêne postérieure, associée à la tension du triceps sural. Pour la traiter, il est recommandé de réaliser des étirements chroniques pour obtenir des effets bénéfiques tant sur l'amplitude articulaire que sur la structure musculo-tendineuse. Il est conseillé d'effectuer au moins 1200 secondes d'étirement par semaine, ce qui équivaut à environ 4 séries de 45 secondes par jour, 6 jours par semaine. Pour maximiser la tension au niveau de la jonction musculo-tendineuse, il est utile de placer l'avant du pied sur un petit promontoire lors de l'étirement du mollet. De plus, les techniques de neurodynamique, telles que le “tensioner”, peuvent également être importantes à considérer, car le déficit de flexion dorsale peut être dû non seulement au tendon d'Achille, mais aussi au nerf tibial. Dans certains cas, des techniques neurodynamiques peuvent augmenter la flexion dorsale sans recourir à des étirements classiques.
Raisonnement clinique - Résumé
En résumé, il est essentiel de considérer à la fois la valeur quantitative et qualitative lors de l'évaluation du déficit de flexion dorsale de la cheville. La valeur quantitative fournit des informations sur l'ampleur du déficit, tandis que la valeur qualitative, c'est-à-dire la gêne ressentie par le patient lors du mouvement, est souvent sous-estimée mais cruciale en pratique clinique. En tenant compte de ces deux aspects, on peut identifier cinq types de gênes spécifiques qui guideront le choix des techniques thérapeutiques appropriées.
Donc pourquoi je vous ai fait l'ensemble de ce raisonnement clinique là ? Parce que souvent j'entends parler ou souvent les gens me disent pourtant cet exercice là il l'a fait tous les jours, je l'ai fait beaucoup en cabinet etc. Vous vous rendez bien compte qu'il a tout à fait sa place cet exercice là mais globalement il a sa place que pour aller on va dire pérenniser un travail qui sera fait, vous l'avez vu sur les autres techniques avant, un travail qui sera fait par vous même et notamment par vos mains. Et si j'avais un petit conseil sur cet exo là qui est très démocratisé, c'est pas de mettre l'élastique comme ça mais c'est plutôt de le mettre dans cette orientation là. Donc ça marche très bien quand vous voyez si la cheville serait sur un step et que l'élastique serait accroché plutôt au bas du sol, vous allez avoir plutôt cette angulation de l'élastique et qui est un peu plus bénéfique sur ce contrôle un petit peu du talus. Donc il a tout à fait sa place là mais vous vous doutez bien que si on ne s'est pas posé la question avant de savoir quelles gênes etc, quelles structures et comment moi aussi je peux aller investiguer ça, malheureusement il va être efficace peut-être au départ et puis après on va stagner, on va pas réussir à gagner ces fameux centimètres entre l'hallux et le mur.
Conclusion
Pour conclure un petit peu tout ça, voilà la raideur de flexion dorsale de cheville peut provenir de nombreuses structures, os, tendons, nerfs, tissus, mou qu'il faut diagnostiquer correctement afin de mettre en place derrière le traitement approprié. Donc la thérapie manuelle est un outil qui a encore et surtout sa place dans l'arsenal thérapeutique d'un physiothérapeute lorsque l'on soigne le complexe pied-cheville et ses raideurs associées. C'est quelque chose que l'on dit aussi beaucoup en formation, c'est qu'on est passé dans un courant entre le hands-off et le hands-on où on touche un petit peu moins nos patients et moi je trouve ça dommage notamment sur le complexe de cheville où la thérapie manuelle a un vrai rôle, à la fois par l'expérience clinique qui nous l'ont montré mais aussi si vous regardez la littérature il y a des vraies belles études qui montrent cet effet de thérapie manuelle et vous l'avez vu juste avant sur les différents types de gênes et bien on peut se focaliser sur le talus ou on peut être plutôt tibio-fibulaire inférieur ou être plutôt sur le médio-pied et donc toucher encore les chevilles de vos patients ça va vous aider je pense à améliorer votre soin et avoir des résultats cliniques.
International Ankle Symposium
Si vous êtes passionné par la cheville et que vous avez apprécié cette masterclass, je vous encourage à participer au 10e International Ankle Symposium, le plus grand congrès mondial dédié à la cheville. Organisé par Romain Tourillon et François Fourchet, ce congrès se tiendra les 4 et 5 octobre 2024 au palais des congrès de Strasbourg. L'événement réunira un panel d'experts qui allient expertise en laboratoire et expérience clinique, offrant ainsi une opportunité unique de fusionner recherche et pratique pour améliorer les soins et les prises en charge des patients.