Dr Ronny Lopes - Chirurgien spécialiste en Orthopédie Traumatologie :
Le Docteur Ronny Lopes est chirurgien spécialisé en chirurgie de la cheville et du pied mini-invasive. Il est également spécialisé dans la traumatologie du sport, la chirurgie arthroscopique et prothétique des membres (cheville, pied et genou).
Le Docteur Lopes a notamment réalisé en 2014 une étude anatomique à partir de laquelle il a pu simplifier une technique de ligamentoplastie de cheville sous arthroscopie.
Il est Membre titulaire de la Société Française d’Arthroscopie et de l’Association Française de la Cheville et du Pied. il y communique régulièrement durant les conférences annuelles, les fruits d’une expérience chirurgicale spécialisée.
Il enseigne également dans des instituts de formation en kinésithérapie et ostéopathie mais également auprès de la SFA (Société Française d’arthroscopie)
Contexte
Cette masterclass est dédiée aux ligaments responsables de la stabilité de la cheville, un sujet qui a connu des avancées significatives récemment. L'image cadavérique que vous voyez illustre parfaitement les structures clés contribuant à la stabilité latérale de la cheville, une fois le tissu cutané et la graisse sous-cutanée retirés. Nous observons ici le ligament talofibulaire antérieur et le ligament fibulo calcanéen, avec la malléole latérale visible ici et le talus situé en avant. Les tendons fibulaires, quant à eux, passent en arrière, recouverts de leur rétinaculum. Cette vue précise est essentielle car notre focus sera principalement sur l'instabilité latérale de la cheville, un aspect crucial de la stabilité de cette articulation complexe.
Considérations anatomiques
L'instabilité latérale de la cheville est un phénomène qui nécessite une compréhension des principes fondamentaux. La radiographie présentée, illustrant un valgus de l'arrière-pied connu sous le nom d'incidence de Méary, révèle l'orientation du talon de 5 à 7 degrés vers l'extérieur. Cette orientation influence le développement et l'adaptation des ligaments tout au long de la vie, entraînant une tension constante sur les ligaments collatéraux médiaux. Ces derniers deviennent ainsi forts et résistants, formant des structures épaisses en réaction aux contraintes subies, contrairement aux ligaments collatéraux latéraux, plus fins et moins robustes, et donc plus susceptibles de subir des traumatismes.
La stabilité de la cheville repose sur trois piliers principaux : l'alignement de l'axe du pied, les stabilisateurs actifs (les muscles) qui contribuent à la proprioception, désormais aussi associée à la statique posturale et à la dynamique posturale, et les ligaments. Lorsque les muscles, pris de court par un mouvement brusque tel qu'une inversion, ne peuvent réagir à temps, ce sont les ligaments, agissant comme des élastiques entre les os, qui assurent la congruence articulaire. Nous examinerons ces ligaments plus en détail pour comprendre leur rôle essentiel dans la prévention de l'instabilité latérale de la cheville.
Il est essentiel de mentionner les contributions significatives de Pao Golanó dans le domaine de l'anatomie des ligaments de la cheville. Ses travaux ont profondément changé notre compréhension de cette structure complexe, en particulier pour les chirurgiens, grâce à sa collaboration étroite avec eux. Golanó a réussi à mettre en lumière des structures anatomiques jusqu'alors méconnues ou insuffisamment détaillées dans les publications anatomiques antérieures. Les images que nous allons examiner sont tirées de ses ouvrages, et je recommande vivement la lecture de ses articles, qui sont devenus des références incontournables dans le domaine.
Abordant la face latérale de la cheville, nous simplifions notre approche pour mieux comprendre sa structure. Nous débutons avec le ligament tibio-fibulaire antéro-inférieur (ou antéro-distal), qui se compose de deux parties. La section la plus à l'avant est également connue sous le nom de ligament de Basset. Puis, il y a le LTFA (Ligament Talofibulaire Antérieur), souvent mentionné et qui représente le faisceau antérieur du ligament collatéral latéral. Enfin, nous avons le ligament fibulo-calcanéen, correspondant au faisceau moyen du ligament collatéral latéral.
L'anatomie de la cheville ne se résume pas uniquement aux ligaments précédemment mentionnés. En examinant de plus près, nous trouvons également le ligament cervical, essentiel pour protéger le sinus du tarse durant les opérations, empêchant ainsi l'accès à cette zone. Il y a aussi le ligament interosseux calcanéen, autrefois connu sous le nom de "ligament en haie", qui joue un rôle de stabilisateur de l'articulation sous-talienne. Le ligament talonaviculaire dorsal, quant à lui, est un ligament volumineux situé au-dessus, souvent impliqué dans les arrachements osseux observés lors de certaines entorses graves. Pour ceux qui s'aventurent encore plus loin dans l'étude de la cheville, le ligament de l'articulation calcanéo-cuboïdienne, appelé ligament bifurqué, est également à noter. Cependant, tous ces ligaments ne jouent pas un rôle égal dans la stabilité de la cheville et du complexe de l'arrière-pied latéral.
Pour autant vous voyez qu’ils sont nombreux. Vous en avez même un petit dernier qu'on appelle le ligament talo calcanéen latéral qui est soi-disant inconstant on en reparlera tout à l'heure.
En résumé, la face latérale de la cheville forme un complexe ligamentaire constitué d'une vaste nappe de tissu. Cela explique pourquoi, lorsqu'une personne se tord la cheville, la palpation en avant de la maléole latérale provoque généralement une douleur ; en effet, presque tout dans cette région est intégré dans cette grande nappe ligamentaire.
Alors si on regarde un petit peu derrière vous avez également le ligament talo fibulaire postérieur qui est volumineux dont on connaît finalement très peu le rôle et donc auquel on s'intéresse pour le moment relativement peu.
En observant la cheville de face, nous distinguons trois complexes ligamentaires : le ligament collatéral latéral, le ligament collatéral médial composé de cinq faisceaux épais influencés par le valgus calcanéen, et la syndesmose, qui inclut également trois ligaments. Notre attention se portera principalement sur le ligament collatéral latéral, souvent impliqué dans l'instabilité de la cheville.
Des recherches récentes, notamment celles menées par l'équipe barcelonaise de Miki Dalmau, successeur de Pao Golanó, et Jordi Vega, ont apporté un éclairage nouveau sur la fonctionnalité du complexe ligamentaire latéral de la cheville. Ils ont fait une distinction importante entre la partie supérieure du faisceau antérieur du ligament collatéral latéral, c'est-à-dire le LTFA, et sa partie inférieure qui est en continuité avec le ligament fibulo calcanéen. De manière simplifiée, il est aujourd'hui supposé que la partie supérieure du LTFA est principalement associée à la douleur, tandis que le complexe formé par la partie inférieure du LTFA et le ligament fibulo calcanéen joue un rôle majeur dans l'instabilité de la cheville.
Voici des détails sur ces dissections qui mettent en évidence la continuité des fibres entre le faisceau inférieur du LTFA et le ligament fibulocalcanéen, tandis que les fibres supérieures du LTFA sont complètement indépendantes, présentant des origines presque différentes.
Ce qui rend particulièrement intéressante l'étude de ces deux faisceaux du LTFA est leur fonction et la manière dont ils s'organisent différemment. En observant le comportement du faisceau supérieur du LTFA, on note une différence significative entre sa tension en flexion plantaire, illustrée en haut à gauche, et en flexion dorsale, en bas à droite. La superposition de ces deux positions révèle une anisométrie marquée entre ces faisceaux, avec des tailles très différentes, soulignant leur adaptation fonctionnelle distincte.
À l'opposé, le complexe formé par le faisceau inférieur du LTFA et le ligament fibulocalcanéen (CFL) montre une cohérence de taille entre la flexion dorsale et la flexion plantaire lorsqu'on les superpose. Ces structures sont isométriques, évoluant très peu quel que soit le mouvement, ce qui indique qu'elles travaillent de manière conjointe et stable, contrairement à la variabilité observée avec le faisceau supérieur du LTFA.
L'examen ligamentaire
Voici quelques observations issues de mes propres travaux de dissection. Si vous envisagez d'examiner des chevilles, je vous recommande vivement de le faire en décubitus ventral (position sur le ventre), car cette méthode offre une reproductibilité plus fiable. Cette position permet également, lors de l'examen, de réaliser un test du tiroir antérieur pour évaluer de manière schématique le LTFA (ligament talofibulaire antérieur) et un test de bascule talaire (talar tilt) pour tester le ligament fibulocalcanéen.
Lors d'une dissection, observez ce qui se passe. Sur la gauche, vous avez un signe du tiroir réalisé sur une cheville saine. Vous pouvez voir le faisceau antérieur du LTFA, tant sa portion supérieure qu'inférieure, se mouvoir normalement, se translater et agir comme un frein à la translation antérieure. Lors de l'exécution d'un signe du tiroir, de la même manière, vous observez que tous ces ligaments se tendent.
Alors on va s'amuser à couper, sectionner artificiellement le LTFA supérieur et là quand vous mettez du talar tilt, il ne se passe pas grand chose finalement.
Maintenant coupons le faisceau inférieur du LTFA. Là aussi vous voyez la translation antérieure n'est pas majeure et le talar tilt est toujours relativement peu important.
Si l'on coupe le ligament fibulo calcanéen, là vous voyez l'énorme différence avec une translation antérieure majeure et un talar tilt qui permet quasiment de subluxer la cheville.
En comparant ces vues successives, vous pouvez clairement identifier les différences significatives entre elles. Une véritable séparation se produit au moment où le ligament fibulocalcanéen est coupé. Cette distinction devient encore plus évidente lorsque l'on compare les différents tests de bascule talaire (talar tilt) effectués sur ces images de dissection. La dernière image se distingue nettement des trois premières, illustrant l'impact de la section du ligament sur la stabilité de la cheville.
Cela confirme une notion bien établie, mais scientifiquement prouvée depuis 2017 : le ligament fibulocalcanéen joue un rôle crucial en tant que principal stabilisateur de la cheville. Tant que ce ligament reste intact, l'instabilité ligamentaire organique de la cheville reste relativement mineure, ce qui a une importance considérable dans l'approche thérapeutique secondaire. En revanche, dès qu'une lésion de ce ligament est présente, il devient difficile de stabiliser la cheville par des moyens autres que chirurgicaux.
Donc la clé de la stabilisation de la cheville c'est le ligament calcanéo fibulaire.
Pour souligner l'importance du ligament comme stabilisateur de la cheville, j'aime utiliser cette analogie simple que j'explique souvent à mes patients : le ligament est comme un hamac tendu entre deux os. Imaginez-vous allongé sur ce hamac. Dans cette représentation très schématique, le hamac (ou le ligament) peut être en bon état, distendu, partiellement rompu, complètement déchiré de son insertion, ou même associé à un arrachement osseux entraînant sa désinsertion proximale. Malgré la variabilité de ces situations, allant d'apparemment bénignes à plus sévères, l'issue fonctionnelle est la même : si le ligament ne remplit pas sa fonction, c'est comme si vous tombiez du hamac, symbolisant une perte de stabilité.
Ce point souligne que la fonctionnalité du ligament est primordiale. Cela met en évidence que, malgré ce que l'imagerie peut révéler, si la fonction ligamentaire est compromise, la stabilité articulaire en sera affectée. Par conséquent, l'examen physique et l'échographie, grâce à leur capacité à évaluer la dynamique des structures en question, sont cruciaux pour apprécier correctement l'état du ligament, à condition que ces examens soient effectués par un praticien expérimenté.
En résumé
Pour résumer les points clés sur l'instabilité de la cheville, il est essentiel de retenir que le ligament fibulocalcanéen (CFL) joue un rôle central dans la stabilisation de la cheville. C'est un message important pour les kinésithérapeutes, qui peuvent parfois penser qu'une rupture du LTFA (ligament talofibulaire antérieur) nécessite systématiquement une consultation chirurgicale. En réalité, une rupture isolée du LTFA a généralement des conséquences mineures et mène rarement à une instabilité chronique de la cheville.
Il est donc inutile de s'alarmer face à une rupture isolée du LTFA. J'aime comparer cette situation à celle d'un patient venant avec une IRM montrant une déchirure du LTFA à quelqu'un qui montre une photo de lui après une coupe de cheveux : le résultat est attendu. Une entorse, par définition, implique une lésion ligamentaire ; ainsi, une IRM réalisée après une entorse révélera nécessairement une telle lésion, sans que cela signifie forcément une gravité.
Le LTFA est principalement associé à des douleurs post-entorse. Statistiquement, 50% des entorses sont encore douloureuses après trois mois, 20% le sont après six mois, et seulement 7% après un an. Avant d'envisager une intervention chirurgicale, de nombreuses options de traitement, y compris la kinésithérapie et le simple passage du temps, qui est souvent le meilleur allié du patient, sont disponibles.